L’efficacité des projets de développement est régulièrement mise en doute. Un coup d’œil sur le nouveau rapport d’activité de la DDC, du Seco et de la division Paix et droits de l’homme dissipe rapidement les doutes: les mesures évaluées affichent un taux de réussite global de 80%. Un résultat remarquable au vu des crises qui secouent le monde et de la situation difficile dans de nombreux pays prioritaires.
Lorsque, le 3 juin 2024, le Conseil des États a décidé sur le champ d’économiser deux des onze milliards de francs de la Coopération internationale 2025-2028 (CI) pour augmenter le budget de l’armée, l’argument brandi par le camp bourgeois est que près de la moitié des projets de développement suisses seraient inefficaces. Benjamin Mühlemann, du PLR, a déclaré avec désinvolture: «Il y a certainement des projets importants en cours, mais il y en a aussi dont on peut critiquer l’efficacité».
Le dernier rapport d’activité de la Confédération sur la stratégie CI 2021-2024 contient de nombreux chiffres. Choisir uniquement celui qui permet de faire les gros titres relève de la polémique. Il est vrai que, selon le rapport, seuls 55% des projets de la DDC et du Seco ont un «impact durable». Mais ce n’est qu’une demi-vérité, voire un sixième de la vérité. En effet, conformément aux normes internationales, les évaluateurs et évaluatrices ne mesurent pas les projets de développement uniquement en fonction de leur «durabilité», mais aussi de cinq autres dimensions. Il en ressort que: premièrement, 86% des projets et programmes font une différence mesurable («impact»); deuxièmement, 85% de toutes les interventions examinées atteignent leurs objectifs («efficacité»); troisièmement, 97% des mesures sont adaptées aux besoins et aux priorités des bénéficiaires, des organisations partenaires et du pays concerné («pertinence»). Quatrièmement, les mesures fournissent des résultats de manière peu coûteuse et opportune dans 73% des cas («efficience») et, cinquièmement, les projets sont bien coordonnés avec d’autres interventions dans un pays ou un secteur dans 85% des cas («cohérence»).
Même si la qualité des évaluations peut être remise en question en raison de méthodes d’enquête hétérogènes et parfois pas totalement transparentes, les données fournissent un point de repère pour un débat documenté. Certes, la CI est déjà aujourd’hui, par rapport à d’autres domaines comme l’agriculture, l’éducation ou l’armée, le domaine le plus scruté en termes de mesures et de documentation publique. Mais il existe toujours un potentiel d’amélioration. C’est pourquoi le suivi et l’évaluation des projets doivent être développés dans trois domaines: améliorer la disponibilité des données, moderniser le traitement des données grâce à la numérisation et améliorer la consultation et la communication des résultats de développement.
Globalement, un taux de réussite tout à fait honorable de 80%
Pour toutes les dimensions, à l’exception de la «durabilité», le taux de réussite se situe donc entre 73% et 97%. Dans l’ensemble, l’analyse transversale de 80 à 100 évaluations externes annuelles de projets, programmes nationaux et portefeuilles thématiques complets indique un taux de réussite de 80% – une valeur incontestablement très acceptable compte tenu du contexte difficile dans lequel les programmes de développement, les interventions de promotion de la paix et les mesures de promotion économique sont mis en œuvre.
Il ne fait aucun doute que le faible taux de «durabilité» est insatisfaisant. Il y a toutefois plusieurs explications à cela: les interventions examinées ont eu lieu dans une phase marquée par des crises et des bouleversements politiques dans de nombreux pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ainsi que l’Afghanistan, le Soudan et le Myanmar. Dans le même temps, la dévastation climatique croissante, la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine ont déclenché une polycrise: les crises qui se chevauchent ont fait augmenter le coût de la vie, les inégalités et la dette publique et ont aggravé l’insécurité alimentaire, la situation des droits humains et les mouvements migratoires involontaires dans de nombreux pays partenaires.
De nombreuses réalisations concrètes grâce à la CI
Malgré les crises secouant actuellement le monde et la situation parfois très difficile dans de nombreux pays prioritaires, la CI suisse a enregistré entre 2020-2022 d’importants succès, comme en témoigne ce rapport d'activité. En matière de «développement économique», plus de 50'000 membres du personnel des administrations financières ont été formés à travers le monde et près de 900 communes dans 19 pays partenaires ont été soutenues dans la mobilisation de recettes fiscales supplémentaires. La qualité de vie de plus de 12 millions de personnes réparties dans 237 villes s’est améliorée grâce au développement durable d’espaces urbains et d’infrastructures. Des milliers d'emplois ont pu être créés et de nombreux pays ont été soutenus dans leurs réformes juridiques et réglementaires, permettant à près de 400'000 PME d'accéder à des financements. Dans le volet «environnement», la coopération au développement a permis à plus de 16 millions de personnes de s'adapter au changement climatique – par exemple par le biais d'une agriculture agroécologique, d'une gestion adaptée des forêts et des régions de montagne ou encore d'une meilleure gestion des risques de catastrophe. En outre, près de 20 millions de personnes ont eu accès à des énergies renouvelables sous forme de chauffage urbain, de biomasse et de photovoltaïque.
Dans le domaine «développement humain», les contributions de la DDC ont permis au CICR, au HCR et au Programme alimentaire mondial de fournir une aide humanitaire à un million de personnes en Ukraine, à plus d'un million en Afghanistan et à plus d'un demi-million au Soudan. En outre, cinq millions de personnes ont été sensibilisées à la prévention de maladies non transmissibles et 1,6 million d'enfants ont eu accès à l'enseignement primaire ou secondaire. Enfin, dans le domaine «paix et gouvernance», la CI suisse a joué un rôle déterminant dans 21 processus de paix, notamment en Colombie et au Kosovo, et a négocié des accords de cessez-le-feu dans sept pays. Dans d'innombrables pays, la Suisse a mis en œuvre des mesures de lutte contre la corruption, encouragé des administrations à être transparentes et responsables et soutenu la participation politique de la société civile.
Une autre affirmation ne résiste pas à l’examen
À l’occasion de la décision du Conseil des États du 3 juin 2024 d’économiser deux des onze milliards de francs de la Coopération internationale 2025-2028 (CI) au profit de l’armée, Lars Guggisberg de l’UDC a affirmé: «L’aide au développement a massivement augmenté. Elle a été multipliée par trois et demi ces dernières années». Les chiffres officiels sur l’évolution de la CI montrent une autre image: l’aide publique au développement (APD) est passée d’environ 2,8 à 3,4 milliards de francs au cours des dix dernières années.
Les dépenses de développement sont même en baisse par rapport au PIB – ce que l’on appelle le taux d’APD: selon l’état actuel de la stratégie CI 2025-2028, qui devrait être adoptée par le Parlement à l’hiver 2024, le taux d’APD (sans tenir compte des dépenses d’asile en Suisse) s’élèvera à 0,36 % à l’avenir. Depuis 2014, le taux d’APD a enregistré ses valeurs les plus élevées en 2020 et 2021, avec 0,45% à chaque fois. Avec la proposition du Conseil des États de transférer 500 millions par an de la CI à l’armée, ce taux passerait même, selon toute vraisemblance, sous la barre des 0,3% – et donc sous la valeur moyenne de tous les pays donateurs de l’OCDE (0,37% en 2023). Une valeur honteusement basse pour la Suisse, pays prospère et «humanitaire». Elle perdrait complètement de vue l’objectif de l’ONU de 0,7%, qui a été confirmé par l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Non seulement la CI n’a pas augmenté par rapport à la puissance économique suisse (PIB). L’efficacité de la CI est également bien meilleure que ce que certains politiciens et politiciennes aiment à répéter. Le Parlement et le Conseil fédéral devraient donc se rappeler que si l’on veut améliorer la sécurité et la stabilité dans notre pays et en Europe, la Suisse ne doit pas seulement envisager de s’armer à l’intérieur du pays, mais elle doit continuer à investir dans la coopération internationale. Concrètement, ce sont la promotion civile de la paix et le renforcement des droits humains, les programmes de développement à long terme et l’aide humanitaire, les mesures de protection du climat et d’adaptation ainsi que le développement durable et le renforcement de l’économie locale dans les pays plus pauvres.