Les époux Win Tun et Than Aye au Myanmar sont de fiers pêcheurs, comme l’étaient leurs ancêtres. Ils habitent dans le golfe de Mottama, qui est une frayère idéale en raison de ses affluents. Les pêcheurs et leurs familles s’associent pour préserver cet écotope.
Tout est poisson dans la vie de Than Aye et de Win Tun. La maison sent le poisson. Leurs soucis et leurs joies sont déterminés par le poisson, et tous deux viennent de familles de pêcheurs dans lesquelles la profession se transmet de père en fils, au fil des générations.
Than Aye, qui est bouddhiste, est âgée de 46 ans. Win Tun, musulman, a six ans de moins qu’elle. Ils ont cinq enfants âgés de 4 à 22 ans.«Nous ne sommes ni riches, ni pauvres», déclare Than Aye.«Nous avons un toit et toujours quelque chose à manger.»Ils vivent au gré des marées.
En arrivant vers la maison de la famille, nous sommes un peu déçus: nous ne voyons la mer nulle part. Ce n’est que pendant les nouvelles et pleines lunes que la marée est assez haute pour inonder les canaux et les criques près des villages de pêcheurs.«Venez, je vais vous montrer mon bateau», nous invite Win Tun.
Le bateau de Win Tun gît sur le sable, immobile et imposant, à quelques pas de la maison. Mais dans quelques jours, il tanguera sur les vagues et Win Tun, accompagné de quelques assistants, naviguera en haute mer pendant deux semaines. Than Aye dit que son époux a parfois tout d’un héros.Nous lui demandons s’il ne lui arrive pas d’avoir peur pour lui. Elle a peur, mais elle déclare:
Than Aye, l’épouse
À la sortie du village se dresse une statue de U Shin Gyi, la divinité protectrice des voies navigables. Avant de partir en mer, les pêcheurs déposent de petites offrandes: noix de bétel, riz ou sucre. Nous demandons à Than Aye s’il lui arrive de prier pour que son mari revienne à la maison sain et sauf. Elle nous conduit à l’autel du Bouddha qu’elle a aménagé au premier étage de sa maison.«C’est là que je prie avec les enfants», explique-t-elle.
Dans le golfe de Martaban, le poisson est le gagne-pain de dizaines de milliers de personnes, non seulement des familles de pêcheurs, mais aussi les commerçants, les marchandes, les constructeurs de bateaux ou encore les ouvrières et ouvriers. Sur la côte est, trois usines achètent et exportent du poisson.
L’entrepreneur Soe Win est associé et co-directeur de Mawlamyaing Holdings ltd. Il est heureux – et fier – de montrer l’usine qu’il a développée avec ses collègues durant vingt ans. Dans l’atelier de transformation propre et frais, des ouvrières emballent le poisson dans des pochettes de protection et les déposent dans le congélateur. De là, le poisson est exporté directement vers la Chine, la Malaisie et Singapour.
Les poissons qui présentent de petites blessures ou ne répondent pas à la demande de consommateurs étrangers sont vendus sur les marchés aux poissons régionaux. Celui de Thaton offre un large choix de poissons. Dans les ruelles étroites, nous déambulons entre les vendeuses et regrettons de ne pas pouvoir rester pour acheter et cuisiner du poisson et découvrir la diversité de l’offre.
Dans un village de pêcheurs éloigné, nous rencontrons Thein Myant, un revendeur, qui transporte les poissons destinés à l’exportation entre les bateaux de pêche et les usines. Pour les pêcheurs de Saik Ka Ye, il n’est pas un adversaire mais l’un des leurs. C’est un membre respecté du comité, car il verse aux pêcheurs des prix justes et leur apporte de la glace pour les glacières.
À Saik Ka Ye, presque tous les ménages vivent de la pêche. Mais le monde des pêcheurs, leur vie rythmée par les marées et aussi l’alternance entre déception et succès sont menacés. Les stocks de poissons au large des côtes du Myanmar ont diminué de 90% depuis 1979. C’est «un sujet de grande préoccupation», selon un rapport de chercheurs norvégiens.
Depuis quelques mois, les pêcheuses et pêcheurs ont créé leur propre comité pour se confronter ensemble à la situation et à la menace qui pèse sur les zones de pêche. Ils racontent comment des spécialistes en développement leur apprennent à diriger une organisation et à faire entendre leur voix auprès des autorités.
Nous nous rendons au quai des bateaux de pêche, sur la rive du golfe, en traversant des rizières et des canaux asséchés. Là, sous un soleil de plomb, nous sommes impressionnés par l’ampleur des vasières du golfe de Martaban et des efforts à fournir pour trouver de bonnes zones de pêche.
Plus de 30 villages du golfe de Martaban sont impliqués dans un projet de gestion durable des zones de pêche et de protection de l’environnement. Helvetas a été mandatée par la DDC pour mettre en œuvre le projet, avec l’appui des pêcheurs et des commerçants, des grands exportateurs, des autorités et surtout des comités de développement villageois au sein desquels les habitant-e-s du golfe façonnent l’avenir du village et leur propre travail.
Nous demandons à Win Tun s’il a également remarqué la baisse des résultats de la pêche. «Je ramène presque autant de poisson qu’avant», commence-t-il par répondre. Mais nous apprenons ensuite qu’il doit travailler plus longtemps et plus durement, et que les très gros poissons sont devenus plus rares.
Tous ceux que nous interrogeons sur les raisons de ce déclin sont d’accord: il y a encore trop de pêcheurs qui pêchent avec des filets à petites mailles. Et comme ils ne respectent pas les périodes de frai, la reproduction naturelle des poissons est perturbée.
Soe Win, directeur de Mawlamyaing Holdings ltd.
Les hommes des comités de pêcheurs ont donc pris les choses en main.«Lorsque nous apprenons qu’untel se sert de filets interdits, nous lui en parlons directement», explique Thein Myant, revendeur et membre du comité. Cette tactique a porté ses fruits à Saik Ka Ye: aujourd’hui, plus personne n’utilise de tels filets dans le village.
Helvetas sait, à travers des expériences faites dans d’autres projets, que les interdictions ne suffisent pas à elles seules et encourage donc aussi le développement de l’artisanat, du commerce et de l’agriculture dans le golfe de Mottama. Les gens ne devraient plus être forcés de détruire leurs propres moyens de subsistance dans la lutte pour leur survie.
La pêche doit rester attrayante pour la prochaine génération. Par exemple pour Yae Thewe, 17 ans, qui assumera bientôt la responsabilité du bateau de son père Win Tun.
Yae Thewe, le fils