Chez les Tung, paysans au Laos
Il est à peu près cinq heures du matin à Ban Komaen, un petit village paysan de la province de Phongsaly, à l’extrême nord du Laos. La plupart des habitants de cette localité difficilement accessible dorment encore. Pourtant, des bruissements se font entendre dans les arbres situés à vingt minutes à pied au-dessus du village. Sinchan, Bouvan et Khampao Tung se trouvent dans leurs cimes. Prestement, ils cueillent les petites feuilles de thé vert clair. Khampao, 51 ans, père de Bouvan et beau-père de Sinchan, explique: «Nous devons commencer le travail avant le lever du soleil, sinon il fait vite trop chaud».
Le thé pousse normalement sur des arbustes. Mais dans l’arrière-pays montagneux du chef-lieu de la province de Phongsaly, il pousse sur des arbres noueux et fortement ramifiés. Il en existerait plus de 46’000 dans la région. Certains auraient plus de 400 ans, dit-on à Ban Komaen. Personne ne sait si c’est vrai. De nombreuses légendes circulent à propos de ces arbres extraordinaires. On ne sait pas non plus au juste s’ils ont été plantés par les hommes par le passé ou s’ils se sont développés à l’état sauvage.
Mais cela n’a pas grande importance en réalité. Le fait que le thé pousse sur des arbres tout au nord du Laos est déjà assez spécial en soi. Qu’importent quelques années de plus ou de moins. Le principal, c’est que la qualité soit bonne – et elle l’est!
La province de Phongsaly est limitrophe du Vietnam à l’est, et de la Chine à l’ouest et au nord. Ce grand voisin est aussi le principal débouché commercial de l’arbre à thé. Le poste-frontière le plus proche se trouve à 80 km seulement.
Vientiane, la capitale du Laos, est bien plus difficile d’accès – un paysan doit compter trois jours pour y arriver par des routes cahoteuses et souvent fermées pour cause de glissements de terrain durant la saison des pluies.
Une grande dépendance vis-à-vis de la Chine
Les clients chinois achetant le thé dictent leur prix et celui-ci varie beaucoup. Il est au plus haut de février à mai, quand le climat est relativement sec et la qualité des feuilles de thé très élevée. Les paysans peuvent alors obtenir jusqu’à 40’000 kips laotiens par kilo, soit un peu plus de cinq francs. Pendant la saison des pluies, de mai à octobre, le prix n’est plus que d’environ 5000 kips par kilo, soit un peu plus de 60 centimes.
Une cueilleuse récolte en moyenne quatre à cinq kilos de feuilles de thé quotidiennement, parfois dix à quinze les très bons jours. Aucune feuille de thé ne pousse durant la saison sèche, de novembre à janvier. La plupart des paysans du village vendent alors le riz qu’ils cultivent aussi.
Le travail des cultivateurs de thé est dur. Chez les Tung, toute la famille met la main à la pâte. Elle traite elle-même une petite partie de la récolte, la majeure partie étant envoyée à la fabrique de thé à Phongsaly.
Le soir, au village, Sinchan (23 ans) et sa belle-sœur Bouvan (21 ans) chauffent une partie de la récolte dans une bassine en métal déposée dans un four en pierre pour que les feuilles se ramollissent. Vient ensuite l’étape du roulage des feuilles au moyen d’un cylindre en métal, afin que les cellules se fracturent et qu’on puisse en extraire le jus. C’est alors le début de la fermentation – les feuilles de thé deviennent brunes. Les deux femmes déposent ensuite les feuilles dans de vastes paniers plats tressés en feuilles de bambou pour faire sécher les feuilles au soleil couchant.
Le mari de Bouvan, Thongxay Tung (28 ans), remplit de grands sacs avec la plus grande partie de la récolte. À moto, il l’apporte à la fabrique située à environ une demi-heure de route. Le thé des paysans de Ban Komaen est très apprécié par la fabrique.
Thongxay, 28 ans
La plus grande fabrique de thé du Laos
Dans la fabrique, les feuilles des théiers de Ban Komaen – ainsi que des feuilles d’arbustes venant d’autres villages – sont également transformées en thé à la main. La fabrique de thé de Changtingyong Khampan est la plus grande du Laos. Six employés y travaillent à plein temps et cinq à six personnes sont à disposition sur simple appel. De nombreux paysans des environs y apportent les feuilles fraîchement cueillies. Les deux tiers du thé produit dans la fabrique sont envoyés en Chine, un tiers reste dans le pays.
Mais l’excellent thé du Laos est déconsidéré en Chine. Il est surtout utilisé pour couper un thé chinois de moindre qualité récolté à la machine. C’est pour cette raison notamment que le propriétaire de la fabrique, Changtingyong Khampan, aimerait trouver d’autres débouchés.
Changtingyong Khampan, propriétaire de la fabrique
Mais nous n’en sommes pas encore là – les cultivateurs de thé de Ban Komaen ont encore deux atouts dans leur manche: leur thé est biologique, ce qui est un bon argument de vente en Chine où le thé contient souvent des pesticides. Et le thé provenant d’arbres âgés de plus de 400 ans est un produit exclusif. Sa qualité est très appréciée chez ses puissants voisins.
Le propriétaire de la fabrique, Khampan, est lui aussi satisfait du thé de Ban Komaen: «La qualité a même considérablement augmenté ces dernières années.» Cette évolution est notamment due à une initiative d’Helvetas, qui s’est entre autres fixé pour objectif d’aider 5000 cultivateurs de thé de la région de Phongsaly à améliorer la qualité de leurs produits et à renforcer les contacts entre eux, afin qu’ils puissent par exemple participer au «World Fair Trade Day» annuel à Vientiane, la capitale.
En outre, il n’a plus qu’un seul interlocuteur, ce qui rend les négociations beaucoup plus simples. Et il ajoute avec un sourire: «En réalité, les négociations sont devenues plus difficiles car les paysans sont plus forts en étant regroupés.» Un thé de Ban Komaen de meilleure qualité, des paysans plus forts et plus affirmés – le projet d’Helvetas mené à l’extrême nord du Laos a atteint ses objectifs.
Changtingyong Khampan, propriétaire de la fabrique