Un village voit plus loin que le bout de ses champs

Au lieu de rester dans une logique de jardinage, le village de Sasilo en Tanzanie apprend à penser en mode «paysages» pour lutter contre l’érosion des sols et mieux s’armer contre le changement climatique.
PAR: Madlaina Lippuner - 15 janvier 2025

À Sasilo, un village de la région aride de Singida, au cœur de la Tanzanie, les paysan·nes sont confronté·es chaque jour à un dilemme: si les familles élèvent des vaches, elles ont besoin de pâturages pour leur bétail, ce qui les oblige parfois à brûler des forêts de brousse. Elles constatent alors que le sol se dégrade et que la biodiversité s’appauvrit. En même temps, il leur faut du bois pour cuisiner et fabriquer des ruches d’abeilles. Or, là où il y avait autrefois de la forêt, le sol devenu infertile est emporté par les eaux en cas de fortes pluies.

Que faire dans un pays où près de 60% de la population active vit de l’agriculture? Selon Global Forest Watch, la Tanzanie a perdu environ 12% de sa forêt depuis l’an 2000. Les bénéfices à court terme s’opposent à une protection durable des sols, y compris à Sasilo, où de nombreuses personnes cultivent notamment du coton, l’un des principaux produits d’exportation du pays, et où le miel offre un revenu complémentaire. Quelle est la solution?

Avec l’aide des satellites

La réponse sugérée aux habitant·es de Sasilo par Helvetas est de voir plus grand, au-delà de leurs propres frontières. Une démarche qui offre des chances à tout le monde. Dans un premier temps, on leur demande d’établir une carte simplifiée. Un comité environnemental composé de huit villageois·es élu·es y dessine son village: les maisons, les forêts, les terres agricoles et les pâturages, la rivière Kisigo qui passe à proximité et les vallées. L’étape suivante consiste à noter les besoins et les problèmes environnementaux sur cette même carte.

Dans le village de Sasilo, l’activiste environnemental Ghaamid Abdulbasat se fait expliquer l’approche du «mapping»: Visitantuly Pilyson, chargé de projet d’Helvetas discute avec les habitants et habitantes de leurs besoins et observations, qui sont ensuite consignés sur une carte.

«Ici, des éleveurs ont brûlé la forêt pour en faire des pâturages», explique un membre du comité en désignant un endroit sur la carte. «La rivière s’y est désormais étendue librement. Beaucoup de terres fertiles ont disparu.» La culture sur brûlis a provoqué l’érosion du sol, qui n’est plus maintenu par les racines. Cette observation est également cartographiée.

Le comité environnemental est soutenu par le personnel d’Helvetas, qui évalue les images satellites de la région et partage ses analyses avec le comité pour compléter et affiner l’état des lieux effectué. Ensemble, les villageois·es déterminent ensuite les endroits où il est possible faire paître leur bétail sans porter préjudice à la forêt, ceux où il faut reboiser et ceux où une stabilisation des berges des rivières est nécessaire.

La carte avec les données satellites permet aussi de trouver de bons emplacements pour de nouvelles plantations – en étroite collaboration avec les habitant·es, qui ont appris à reboiser auprès de paysannes spécialement formées et contrôlent aussi si les images satellites correspondent à la réalité. Rien qu’en 2022, les petit·es paysan·nes de Sasilo et de douze autres villages ont planté près de 20’000 arbres. Des classes d’école les aident régulièrement.

Des cultures «climatiquement plus intelligentes»

Toutefois, pour transformer les sols secs et érodés en paysages verts et sains, le reboisement ne suffit pas: des engrais organiques et du compost sont nécessaires ainsi que des cultures résistantes au climat. Une solution: les jardins-forêts, qui permettent aux agriculteur·trices de diversifier leurs cultures. Des arbres fruitiers et des bois d’œuvre pluriannuels y sont cultivés en même temps que des plantes annuelles.

© Franz Thiel
«C’est seulement lorsque j’y ai collaboré personnellement que j’ai réalisé le pouvoir de la cartographie.»

Pili Mohamed, petite paysanne et présidente du comité environnemental de Sasilo

«Je récolte désormais toute l’année», explique Fatuma Gwau Kundya. «Les moringas et les gliricidias forment une clôture naturelle autour de mon jardin pour le protéger des animaux sauvages et du bétail. Les feuilles, les racines et les graines du moringa sont très bonnes pour la santé, tandis que le gliricidia fertilise le sol, fournit du fourrage de qualité et du bois de chauffage et procure de l’ombre.»

Au village, on est fier des jardinsforêts et aussi de la pratique de l’apiculture. Les apiculteur·trices ont appris à construire des ruches en utilisant moins de bois, à récolter le miel avec délicatesse et à en produire plus. L’apiculteur Zebedayo Mtoi raconte: «J’ai récolté dix seaux de miel. Maintenant, je peux payer l’éducation de mes enfants.» Helvetas offre également un soutien à la commercialisation des produits. «J’ai déjà vendu la cire d’abeille, ce qui m’a permis d’acheter cinq ruches supplémentaires.»

Voir grand, avec de grands partenaires

Grâce à ces mesures, les petit·es paysan·nes de Sasilo ont pu diversifier leurs revenus et minimiser le risque de mauvaises récoltes, qui augmente avec le changement climatique. Cependant, des mesures en réseau sont nécessaires pour en atténuer les retombées à large échelle. C’est là que voir grand et avoir une vue d’ensemble, à l’instar du comité environnemental de Sasilo, révèle toute son utilité. 

Ses membres ne pensent pas seulement en termes de petits jardins et de champs, mais évaluent aussi le terrain communal – une approche pionnière qui permet au comité d’élaborer des plans pour l’ensemble des environs de Sasilo, mais aussi de trouver des partenaires pour protéger la région. Helvetas fait ainsi appel à une entreprise qui transforme le coton bio et qui engage des agronomes pour former les petit·es paysan·nes aux techniques de culture durable et leur apprendre à fabriquer des engrais biologiques. Une situation gagnant-gagnant, puisqu’une chaîne de création de valeur plus productive et durable profite aux deux parties.

Revenons aux cartes des villages, où figurent également les surfaces présentant une précieuse biodiversité: les autorités du district en ont la charge. Elles rassemblent les cartes et les plans des comités environnementaux des différents villages et les compilent. De cette façon, il est possible de créer des surfaces de reboisement dépassant le cadre d’un village. Les préoccupations des femmes et des jeunes générations sont écoutées et prises en compte au même titre que celles des paysans établis de longue date. Pili Hussein, petite paysanne de Sasilo et présidente du comité local, déclare: «C’est seulement lorsque j’y ai collaboré personnellement que j’ai réalisé le pouvoir de la cartographie.»