Le 7 janvier, la nouvelle initiative sur la responsabilité des multinationales a été lancée. Quatre ans après une votation populaire mémorable, cela peut paraître une gageure, mais il y a de bonnes raisons de remettre le sujet sur le tapis maintenant car la situation a fondamentalement changé depuis 2020.
Une votation populaire a rarement été aussi serrée: le 29 novembre 2020, 50,7% des votantes et des votants suisses ont approuvé l'initiative «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l'environnement», communément appelée Initiative pour des multinationales responsables (IMR). Mais comme une majorité de cantons s'est prononcée contre, l'objet a finalement été rejeté. Une initiative qui n'aboutit pas malgré la majorité du peuple est très inhabituelle – et la campagne de votation extrêmement intense qui a précédé le scrutin a également été exceptionnelle.
D'un côté, une alliance historiquement unique de plus de 130 organisations de la société civile suisse (dont Helvetas), qui a exigé des normes contraignantes en matière de droits humains et d'environnement pour les entreprises suisses actives à l'étranger. Elles ont été soutenues par les églises et de nombreux entrepreneurs et entrepreneuses. De l’autre, le Conseil fédéral et les grandes associations économiques se sont opposés à cette initiative «extrême» et «anti-économique». Leur principal argument: la Suisse ne peut pas se permettre de faire cavalier seul, mais elle doit agir de manière coordonnée au niveau international. Cette affirmation, répétée des dizaines de fois et sur tous les canaux par la ministre de la Justice en charge du dossier avant la votation, a contribué de manière déterminante au rejet de justesse de l'initiative, selon un sondage postélectoral.
De précurseur à retardataire
Effectivement, la première initiative sur la responsabilité des multinationales avait encore un certain caractère pionnier lorsqu'elle a été soumise au vote fin novembre 2020. Certes, une demi-douzaine de pays européens discutaient alors d'une telle loi, mais seule la France l'avait déjà mise en vigueur. D'autres pays avaient adopté des lois spécifiques, comme les Pays-Bas (travail des enfants), la Grande-Bretagne (esclavage moderne) ou l'UE (minerais de conflit). Ces lois ne réglementaient toutefois que partiellement les activités des entreprises à l'étranger et de manière très différente. Leur point commun était la référence aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (Principes de Ruggie), publiés par les Nations Unies en 2011, et qui ont été à l'origine de la première IMR. Même si la tendance européenne se dessinait déjà clairement, la référence du Conseil fédéral à un cavalier seul de la Suisse était au moins partiellement correcte. Toutefois, tous les observateurs ne partageaient pas, loin s'en faut, la crainte du Conseil fédéral de voir les grands groupes financiers quitter la Suisse en cas de oui au projet.
Aujourd'hui, à peine quatre ans plus tard, les choses se présentent différemment – et de nombreuses personnes s'étonnent que les choses soient allées si vite. En effet, alors que la Suisse s'apprêtait après le vote à mettre en œuvre le contre-projet indirect formulé par le Conseil fédéral – une obligation de rapport élargie, mais finalement inefficace, pour les entreprises en matière d'environnement et de droits humains –, l'Union européenne (UE) a rapidement pris les choses en main. A l'initiative du commissaire européen à la justice, l'élaboration d'une réglementation européenne des entreprises selon les principes de Ruggie a été accélérée. Après quelques tergiversations, le Parlement européen a finalement adopté en mai 2024 la European Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD, en français Loi européenne sur la chaîne d'approvisionnement), qui sera bientôt applicable à tous les pays.
Loi européenne sur la chaîne d'approvisionnement (EU-CSDDD) – les points essentiels
Prétendre que l'UE a ainsi simplement fait ce que la Suisse avait rejeté auparavant serait toutefois réducteur. En effet, la CSDDD, que tous les États membres de l'UE doivent désormais transposer dans leur droit national d'ici mi-2026, va au-delà de l'IMR et surtout bien au-delà de l'obligation de rapport actuellement en vigueur en Suisse. Ainsi, les entreprises de l'UE devront à l'avenir non seulement veiller à ce que les droits humains ne soient pas violés dans le cadre de leurs relations commerciales à l'étranger et à ce que l'environnement ne soit pas pollué, mais elles devront également réduire leurs émissions nocives pour le climat, conformément aux exigences de l'accord de Paris. Le respect de ce devoir de diligence est contrôlé par une autorité de surveillance indépendante, qui peut ouvrir des enquêtes et infliger des amendes. Les personnes concernées par des violations des droits humains ont en outre la possibilité de demander des dommages et intérêts au siège du groupe par le biais du droit civil.
La CSDDD va donc nettement plus loin que l'IMR sur trois points: trajectoires contraignantes de réduction des émissions de CO2, autorité de surveillance et responsabilité jusque dans la chaîne d'approvisionnement. En revanche, le champ d'application de la CSDDD est beaucoup plus restreint et concerne exclusivement les grandes entreprises employant plus de 1000 personnes et réalisant un chiffre d'affaires net de plus de 450 millions d'euros. Cela ne représente certes que 0,05% de toutes les entreprises européennes – mais en règle générale, ce sont aussi celles dont les chaînes d'approvisionnement sont mondialisées au maximum et qui présentent donc des risques élevés en matière de droits humains et d'environnement.
La Suisse attend de voir
Celles et ceux qui s'attendaient à ce que la Suisse tienne rapidement la promesse du Conseil fédéral de 2020 et adapte son devoir de diligence au contexte international se sont trompés. En effet, rien ne s'est passé à Berne. Même une pétition signée par 217'509 personnes n'a pas réussi à inciter le Parlement à mener une discussion substantielle sur la CSDDD et son importance pour la Suisse. Au lieu de cela, le Conseil fédéral a fait référence au manque d'expérience de l'UE et a décidé d'attendre.
Cela n'a pas seulement irrité les anciens initiateurs et initiatrices de l'IMR, qui continuent à s'engager pour la cause, mais aussi de nombreux politiciennes et politiciens, entrepreneuses et entrepreneurs bourgeois, dont un grand nombre s'étaient encore prononcés contre l'IMR en 2020. En été 2024, ces dernières et derniers ont même lancé un appel commun au Conseil fédéral et au Parlement pour qu'ils prennent l'affaire en main le plus rapidement possible. Cet appel est lui aussi resté largement sans effet, mais il a tout de même montré de manière impressionnante à quel point les intérêts s'étaient déplacés depuis 2020 et la cause était devenue audible jusqu'au centre de l'échiquier politique.
Un autre règlement européen, qui fait l'objet de discussions depuis quelque temps, du moins au sein de l'administration fédérale, en offre un exemple intéressant: le nouveau règlement européen sur la déforestation (EUDR). A l'avenir, les entreprises devront garantir dans le monde entier qu'aucune forêt n'est déboisée ou endommagée pour les produits qu'elles vendent dans l'UE. Cela concerne notamment l'industrie chocolatière suisse qui souhaite continuer à exporter vers l'UE. C'est pourquoi non seulement des organisations environnementales comme le WWF, mais aussi de grands groupes comme Nestlé s'engagent pour une mise en œuvre rapide de la directive européenne par la Confédération. En effet, des différences significatives entre l'UE et la Suisse en matière de réglementation des pratiques commerciales créent une insécurité juridique qui, à plus ou moins long terme, entraînera de nouveaux obstacles bureaucratiques et d'éventuelles restrictions à l'accès au marché de l'UE. Tant pour l'EUDR que pour la CSDDD, la Suisse fait donc désormais 'cavalier seul' – exactement ce que le Conseil fédéral disait vouloir éviter il y a quelques années encore.
Pression de la population
Comme la Berne fédérale continue à refuser de travailler et joue la montre, la Coalition pour des multinationales responsables a lancé une nouvelle initiative au début de l'année. Celle-ci s'inspire largement de la CSDDD européenne sur tous les points. Elle exclut notamment catégoriquement les PME de son champ d'application, ce qui n'était pas le cas la dernière fois et avait suscité le mécontentement. En revanche, contrairement à la CSDDD, la nouvelle IMR n'exige pas de responsabilité en cas de manquement des sous-traitants, mais la limite aux filiales. De même, en ce qui concerne la clause climatique, le texte de l'initiative autorise des exceptions pour les entreprises dont les émissions sont faibles.
Bien que la collecte de signatures ait débuté en hiver, les initiateurs et initiatrices sont confiants et pensent pouvoir récolter les 100 000 signatures nécessaires en peu de temps. Grâce à un début impressionnant avec plus de 1'000 actions de collecte dans toute la Suisse, il semble que ce ne soit qu'une question de temps avant que le Conseil fédéral et le Parlement ne doivent à nouveau se pencher sur la question de manière approfondie.