Pérou: la crise n'est de loin pas encore surmontée
Par Kaspar Schmidt, conseiller du programme d'Helvetas Pérou
Au Pérou, les gens vivent toujours dans l'œil du cyclone du coronavirus. Le nombre de nouvelles infections quotidiennes dans les pays d'Amérique latine reste élevé, voire continue d'augmenter. Le Brésil, le Pérou et le Chili font désormais partie des sept pays les plus touchés dans le monde (en savoir plus dans la 7e partie des blogs).
Combinaisons intégrales et visières portées dans les quartiers
Dans notre quartier de Lima, davantage de personnes sortent et se déplacent à nouveau, toutes portant le masque prescrit et la plupart s'efforçant visiblement de garder la distance avec les autres. On voit aussi beaucoup d'adultes et d'enfants protégés derrière des visières en plastique posées par-dessus leur masque, et de plus en plus de personnes vêtues de combinaisons intégrales.
La crise impacte encore fortement la vie quotidienne des Péruviens, elle limite et engendre de l'inquiétude. L'état d'urgence a été prolongé jusqu'à fin juillet - désormais avec des règles de conduite différenciées selon les régions. La maladie de personnes proches, dans les familles des collaboratrices et collaborateurs locaux d'Helvetas ou parmi les collaborateurs de nos projets et organisations partenaires, donne soudain un caractère personnel à ces nombres de cas pouvant sembler abstraits.
L'équipe d'Helvetas Pérou travaille encore à domicile au moins jusqu'à fin août. Nous apprenons beaucoup et travaillons ensemble plus intensément qu'auparavant, comme je l'ai raconté à la fin du mois de mai (6e partie). Le travail de projet sur le terrain est soumis à des limitations importantes. Il s'agit maintenant de finaliser les protocoles de sécurité nécessaires à la poursuite du travail – ce qui n'est pas une tâche facile, étant donné les règles souvent floues ou excessives de l’État.
Faire des courses entre hommes seulement
Rétrospectivement, il y a aussi toujours des moments amusants ou absurdes: début avril, le gouvernement péruvien a décrété que les hommes et les femmes n'étaient autorisés à faire des achats qu'en alternance journalière. C'était pour moi une étrange et soudaine expérience que d’aller faire des courses seulement en présence d'autres hommes. Munis de leurs listes de commissions, certains semblaient un peu perdus entre les rayonnages. Qui sait, peut-être cette mesure a-t-elle contribué à répartir plus équitablement les tâches ménagères entre femmes et hommes? Elle n'a en tout cas pas eu l'effet escompté contre la propagation du virus, c'est pourquoi le gouvernement l'a retirée au bout d'une semaine. Ce fut également une surprise de trouver au rayon poissonnerie des cartons d'œufs bien alignés au lieu de poisson frais. Car au cours des premières semaines de la quarantaine, on ne disposait pratiquement plus d’œufs. Puis ils sont subitement à nouveau arrivés en grand nombre, alors qu'il n'y avait presque plus de poisson frais en vente, la pêche étant temporairement suspendue. L'mprovisation est vivement requise...
Détresse existentielle
Il est encore trop tôt pour faire un bilan intermédiaire au Pérou. L'insécurité ainsi que la peur de l’infection et de son traitement dans des hôpitaux surchargés sont largement répandues. En parallèle, la pression économique s'est encore accrue. Un grand nombre de Péruviens, en particulier dans les ménages pauvres, sont en situation de détresse. La récession provoque une immense inquiétude parmi la population. La réactivation lancée progressivement de l'économie est une nécessité. Toutefois, dans les conditions propres à un pays émergent, c'est un exercice d'équilibre particulièrement exigeant: la protection de la santé d'une part, l'ouverture économique d'autre part. Il est encore impossible de prédire ce qui va se passer. À l'heure actuelle, une seule certitude s’impose: la première vague d'infection, qui a connu son pic entre fin mai et mi-juin, d'autres vagues probables à l’avenir de Covid-19 et la crise économique continueront à préoccuper la population du Pérou et de toute l'Amérique latine pendant longtemps encore.
(article écrit le 29 juin 2020)
Myanmar: vivre dans la dignité
Par Peter Schmidt, directeur d'Helvetas Myanmar
Un ami en Suisse travaille depuis des années dans une industrie aujourd'hui fortement secouée par la crise liée au coronavirus. Il y a quelques jours, son employeur, une entreprise renommée, a annoncé une suppression de postes de travail en raison de la pandémie et a licencié notamment cet homme de 58 ans, qui sera libéré de ses fonctions dans une semaine. Le choc est énorme, les chances de trouver un nouvel emploi sont minces – pour ne pas dire plus.
Jamais auparavant, en 35 ans de vie commune, ma femme et moi ne nous sommes pas revus durant une période aussi longue. Elle est en Suisse depuis 100 jours et je suis coincé à Yangon, la capitale du Myanmar. Je sais que c'est le quotidien pour de nombreux couples. Mais pas pour nous. J'observe comment l'isolement, ajouté à la restriction de la liberté de mouvement encore en vigueur, me rend grincheux. Le niveau de patience et de tolérance sont plus bas que d'habitude.
Chaos pour les demandeurs d'emploi
La semaine dernière, j'ai visité notre projet pour les femmes migrantes au Myanmar dans l'une des banlieues de Yangon. Au moins, là-bas, je suis libre d e m'y rendre! Shwe Pyi Thar est un quartier densément peuplé de 300 000 habitants et c'est aussi une zone industrielle. Au moins 6000 femmes travaillant dans l'industrie du cuir et de l'habillement ont perdu leur emploi. Le chaos règne devant les bureaux de placement de l'État, où les chômeurs doivent s'inscrire pour obtenir les papiers nécessaires à leurs recherches d'emploi. De longues files d'attente. Et la plupart des personnes licenciées ne retournent pas dans leur village d'origine, comme je le pouvais le penser. Non, elles restent ici et cherchent du travail, et les nouveaux arrivants les rejoignent. Comment ils survivent sans revenus tout au long de cette période reste un mystère pour moi.
Dans une autre région de projet, dans le sud-est du Myanmar, chaque jour plusieurs centaines de migrants ayant perdu leur emploi en Thaïlande rentrent au Myanmar. Ceux qui ont quitté le pays légalement reviennent aussi légalement et de manière raisonnablement organisée. Les autres - on estime qu'ils représentent la moitié - se faufilent à travers la frontière verte. Mais tous, et cela semble fonctionner, se retrouvent dans des camps de quarantaine. L'Organisation internationale du travail (OIT) mène une enquête auprès des réfugiés de retour au pays: 58% d'entre eux veulent à nouveau tenter leur chance en Thaïlande une fois la pandémie terminée. La détresse doit être grande pour que plus de la moitié de ceux ayant été contraints de rentrer reprennent le chemin de ce destin!
Le suicide, au plus fort du désespoir
Cette semaine, les médias ont rapporté qu'en Malaisie, une autre destination principale de la migration, on dénombrait une augmentation des suicides parmi les femmes immigrées du Myanmar ayant perdu leur emploi. Le désespoir ne pourrait pas être plus grand...
Tous ces travailleurs migrants endurent l'incertitude et une vie séparée de leurs proches. Alors quel malheur peuvent bien représenter mes 100 jours de solitude dans mon appartement à Yangon! Des milliers de ces travailleurs migrants ont perdu leur emploi à la suite de la pandémie de coronavirus. Il n'existe pas de plans sociaux, pas d'assurances, pas de fonds de pension, pas de retraite anticipée. Les filets de sécurité dont dispose mon ami en Suisse si durement touché sont absents ici. Il reste beaucoup à faire pour que tous vivent dans la dignité et pour un monde plus juste!
(article écrit le 29 juin 2020)
Coronavirus: agir maintenant!
Burkina Faso: les blessures économiques et sociales sont plus profondes que le Covid-19
Par Franca Roiatti, reponsable de communication d'Helvetas en Afrique de l'Ouest
Il y a quelques jours, devant les caméras de télévision, le chef de la Task Force Covid-19 a annoncé la fin des conférences de presse hebdomadaires concernant la pandémie au Burkina Faso. Dorénavant, la rencontre avec les journalistes n'aura lieu qu'une fois par mois. «Nous nous dirigeons vers une gestion normale du coronavirus», a expliqué le Dr. Brice Bicaba, mais le virus est «toujours là», a-t-il insisté en communiquant les derniers chiffres sur l'infection.
Faible capacité de dépistage, avenir incertain
Bien que les cas signalés dans ce pays d'Afrique de l'Ouest soient encore peu nombreux par rapport à l'Europe, aux États-Unis ou à l'Amérique latine, il est difficile de prévoir quand la pandémie sera sous contrôle. La capacité de dépistage est encore faible, mais le gouvernement prévoit d'ouvrir des centres de tests volontaires dans la plupart des régions du pays.
Les marquages sur les routes, destinés à aider les cyclistes et les automobilistes à garder leurs distances aux feux de circulation, s'effacent lentement (voir photo). Un regard porté sur la vie quotidienne révèle l'attitude de nombreuses personnes à l'égard des mesures de précaution recommandées: dans les bars, les restaurants et sur les marchés, les gens s'assoient et se tiennent près les uns des autres. Les masques, souvent en simple tissu, pendent souvent sous le menton ou sont accrochés à une oreille. Certaines stations mobiles de lavage des mains à l'entrée des magasins et des bureaux n'ont plus d'eau, d'autres ont disparu.
Les jeunes sont particulièrement touchés
«Il est difficile de garder l'attention sur le coronavirus à un niveau élevé», confirme Mouomouni Dialla, entrepreneur et président du Conseil national de la jeunesse (CNJ), une organisation faîtière des associations de jeunes du pays. Le gouvernement compte sur 15'000 jeunes bénévoles pour aider à diffuser l'information sur le Covid-19. «Nous rencontrons des gens pour montrer les comportements corrects à adopter et pour organiser des cours sur la fabrication de gel désinfectant pour les mains», résume M. Dialla. Le jeune propriétaire d'une entreprise de transport exprime son inquiétude face à la situation économique: «Les jeunes travaillent principalement dans le secteur informel et sont donc gravement touchés par cette crise, explique-t-il; la fermeture des marchés de rue et des frontières, la quarantaine et le ralentissement des transports ont porté préjudice aux économies des petites entreprises et des familles, et la reprise n'est que très timide».
Il semble plus difficile de soigner les blessures économiques et sociales de cette pandémie que de gérer le Covid-19: «J'ai été obligée de vendre mes légumes au quart du prix, directement ici dans les champs, parce que je ne pouvais pas les apporter en ville», m'explique Mariam, qui cultive des choux et des tomates dans les environs de Bobo Dioulasso. De nombreux paysans ont dû vendre leurs produits pendant des semaines à des prix bas – ou alors les voir pourrir. Ils n'ont pas pu acheter d'engrais au bon moment pour la saison de culture. Cela pourrait conduire à une récolte plus faible. La FAO – l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture – met en garde contre une hausse des prix des produits alimentaires. Un autre coup porté aux familles les plus vulnérables. Auront-elles assez d'argent pour acheter la nourriture nécessaire, renvoyer les enfants à l'école, payer un médecin ou acheter du savon?
Comme en Europe, on trouve aussi au Burkina Faso des personnes qui pensent que le temps est venu de construire une économie plus résiliente. La question reste ouverte: un gouvernement confronté à une crise humanitaire majeure en raison de la multiplication des attaques de groupes armés et des prochaines élections générales sera-t-il en mesure de relever ce défi?
(article écrit le 29 juin 2020)