Les parents de Yeshimebet Gashaw étaient consternés quand leur fille est rentrée à la maison avec l’idée de devenir plâtrière: quelle fille irait donc sur un chantier? C’est bien trop dur! Ils s’opposaient fermement. Mais Yeshimebet savait, l’ayant vu à la télévision, qu’elle n’aurait pas besoin de force, mais plutôt de créativité en tant que plâtrière. «On peut faire des merveilles avec du plâtre. Il s’agit de créer et de décorer. Je suis douée pour cela.»
Pendant qu’elle nous parle, une fraise à métaux vrombit dans la cour. Dans la salle de cours de l’atelier, le tableau porte encore les traces de craie de schémas de construction. Yeshimebet a revêtu une salopette brune. Ses mains sont blanchies de plâtre jusqu’aux poignets. Pour elle, c’est le matériau dont ses rêves sont tissés. Elle aime plonger ses mains dans cette matière malléable. Elle rit maintenant. «Je suis la seule femme dans le cours. Mais tous les collègues m’acceptent.» Elle s’apprête à sortir, car pour rien au monde elle ne manquerait la leçon pratique à l’extérieur, où de longues tables de travail sont posées sous un toit en tôle.
Yeshimebet Gashaw, 23 ans, apprentie plâtrière
Une famille dans le besoin
Nous avons ainsi le temps de penser à l’histoire de Yeshimebet, qui de sa vie n’a jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui. Elle nous a décrit comment, pendant deux ans, elle a fait des nettoyages dans une clinique privée après avoir échoué à ses examens de fin d’études, comme de nombreux Éthiopiens. «Là-bas, tous me rabaissaient; nous, les femmes de ménage, étions quotidiennement humiliées et insultées, confie-t-elle avec amertume. Le chef nous traitait comme des moins que rien, on étaient exploitées et on ne gagnait presque rien.»
Si, au premier abord, la jeune femme de 23 ans semble insouciante, son histoire dévoile un jour bien plus grave. Malgré sa souffrance, elle a tenu bon dans son travail. Parce qu’elle savait combien ses parents étaient heureux quand elle apportait son maigre salaire à la maison – et qu’ils étaient fiers de pouvoir dire: «Yeshimebet n’est pas là, elle travaille». Mais finalement, son père et sa mère l’ont poussée à quitter cet emploi. Elle était de plus en maigre, de plus en plus malade; la santé de leur fille a primé. Même si cela signifiait que le père devait à nouveau assurer seul les besoins de la famille.
Lui qui attend au bord de la route de transporter du matériel de construction avec sa charrette à cheval. Il n’est pas rare qu’il attende en vain. «Dans ce cas, nous allons dormir le ventre vide et nous nous levons le ventre vide. Parce qu’il ne supporte pas de voir souffrir ses enfants, parfois il ne rentre pas à la maison quand il n’a rien gagné, nous a raconté Yeshimebet. Qui a ajouté avec force: il donnerait sa vie pour nous.»
Tout l'espoir repose sur la jeunesse
C'est l'histoire de Yeshimet mais c'est en même temps celle de nombreux jeunes Éthiopiens dans la ville de Bahir Dar. Elle le dit elle-même. Le chômage des jeunes représente un problème majeur, car la pauvreté pousse chaque jour davantage de jeunes à quitter la campagne pour la ville. Des compétences leur manquent pour trouver du travail. Mais en même temps, l’espoir de familles entières reposent sur leurs épaules.
Dans la cour de l’atelier, on enseigne divers métiers du bâtiment; alors que les techniciens de l’aluminium font du vacarme avec leurs machines, la plâtrerie est un travail discret. Aujourd’hui, le formateur Melkamu Lakew apprend au groupe comment former une colonnade à partir de plaques de plâtre striées. À l’aide de chablons en bois, les jeunes en formation créent les bases d’une colonne artistique de style grec: celles-ci sont appréciées dans les magasins et les hôtels chics, ainsi que dans les maisons des familles aisées de Bahir Dar.
Yeshimebet est l’une des apprenties participant à un projet de formation professionnelle d’Helvetas, qui suit une approche innovante. Différentes formations dans les métiers recherchés sur le marché du travail sont offertes – des cours professionnels intensifs orientés sur la pratique pour des jeunes défavorisés. Helvetas collabore avec des institutions de formation privées et publiques locales. Avec la particularité que ces dernières sont entièrement indemnisées pour les formations dispensées que lorsque les diplômé·e·s ont réussi leur entrée dans la vie professionnelle, que ce soit avec un emploi ou une activité indépendante. Cela implique que les écoles soutiennent activement les jeunes dans cette voie.
Oui, j'offre des chances!
Helvetas renforce la formation professionnelle dans des pays d’Afrique parce que le manque de places de formation et de travail pour les jeunes est criant. Au cours des quatre dernières années, environ 3000 jeunes ont terminé une formation en Éthiopie grâce à Helvetas. Plus des trois quarts d’entre eux ont trouvé un emploi ou ont lancé leur propre affaire. Or, cette initiative va bien au-delà: les autorités régionales d’Amhara ont été impressionnées par les formations intensives si bien que 150 écoles professionnelles étatiques et privées appliquent désormais les concepts de formation développés par Helvetas. Plus de 240 000 jeunes ont déjà été formés.
Qu’il s’agisse de futurs cuisiniers, coiffeuses, couturiers, carreleurs ou mécaniciennes sur auto, tous apprennent aussi comment lancer une entreprise et élaborer un business-plan. Ils sont formés à la communication et au marketing et aussi, dès le début du cours, à se présenter de façon convaincante et à renforcer leur confiance en eux. Ces compétences sociales font partie des bases essentielles, comme l’affirment aussi bien formateurs qu’apprentis.
Yeshimebet a maintenant davantage confiance en elle. Avant, avoue-t-elle, elle ne voyait guère ses amis. Car toute remarque maladroite de la part de jeunes mieux lotis la blessait. Pour elle, apprendre un métier n’est pas seulement synonyme de revenus, mais aussi de liens et d’acceptation. Et ses parents? Yeshimebet sourit. «Ils savent à quel point j’allais mal avant – et ils voient combien je suis heureuse à chaque fois que je reviens du centre de formation. C’est plus convaincant que tous les arguments.»
La maison de Yeshimebet est proche de l’atelier. Elle vit avec ses parents et ses trois jeunes frères et sœurs dans une simple et longue maison en terre, munie de plusieurs portes – derrière chacune d’elles, une famille vit dans une seule petite pièce sombre. Cuisiner et laver se passe dans la cour. Une fois que Yeshimebet a aidé sa mère à faire la lessive et à suspendre pantalons et t-shirts sur une corde, elle déclare avec une désarmante sincérité qu’elle avait souvent souhaité avant ne pas être née dans cette misère. Selon elle, leur pauvreté découle du fait que ses parents n’ont jamais pu apprendre un métier. Bien sûr, à la fin de sa scolarité, une discussion s’est tenue pour décider si le mieux était qu’elle se marie. Mais pour elle, la question ne se posait pas: «Je vois à quel point ma mère est dépendante. Je veux pouvoir rencontrer un homme sur un pied d’égalité, parce que je contribue à l’entretien de la famille. Je ne veux pas que mes enfants connaissent un jour la même misère que la nôtre.»
En tant qu’aînée, de grands espoirs reposent sur elle. Ses parents escomptent qu’elle puisse aider la famille à sortir de la pauvreté. Elle se révolte parfois contre cette lourde responsabilité. «Je ne suis qu’une jeune femme! Mais ensuite, ça m’encourage à nouveau. Aujourd’hui, pour la première fois, elle peut poursuivre un but concret et déclare: cette formation m’offre des perspectives dont je n’avais jamais rêvé.»
Âge: 20 ans, profession: directrice de son entreprise
Sahilemariam a terminé la formation d’Helvetas pour devenir couturière il y a deux ans, elle avait alors 18 ans. Avec son amie Fitfite Mulualem, 24 ans, qui a suivi le même cours, elle dirige un atelier de couture en plein essor, qui connaît un succès tel que même la télévision locale a réalisé un reportage. Mais si vous cherchez dans leurs locaux de production du glamour télévisuel ou des témoignages de la notoriété des jeunes entrepreneuses, vous serez déçus. Cela ressemble davantage à un gros-œuvre, s’il n’y avait des restes de tissus ou la bannière dans la cour annonçant en grandes lettres «Sahilemariam & Fitfite Men and Women Modern Tailoring Shop». Ici, la ville de Bahir Dar met des locaux à disposition des jeunes diplômés des cours d’Helvetas, afin qu’ils puissent se mettre à leur compte.
À l’intérieur, des bâches en plastique blanc font office de parois; derrière elles – où travaille une autre jeune entreprise – une radio diffuse des chansons éthiopiennes. Le cœur de l’entreprise est fait de 16 machines à coudre, alignées en rangées. Pour seule décoration, quelques mannequins qui ne sont plus de prime jeunesse mais dont le regard reste fier et nonchalant dans leurs grands yeux maquillés. Ils portent les derniers modèles que l’équipe coud pour un grossiste. En ce moment, il semble que les pulls «couleur camouflage» soient à la mode. Mais des vêtements traditionnels, brodés avec finesse, sont aussi exposés.
Sahilemariam Shebabaw, 20 ans, couturière et directrice d'entreprise
Sahilemariam, quel est ton rêve pour le futur?
«Je n’ai pas de rêve. J’ai un plan: d’ici à trois ans, nous voulons avoir remboursé les crédits pour les dernières machines à coudre et ouvrir un petit magasin sur le marché.»
Elle a constaté que les vêtements blancs éthiopiens amples et brodés sont demandés. Et que ces pièces uniques rapportent davantage que les commandes des grossistes. Le style traditionnel a le vent en poupe, même auprès des jeunes. C’est pourquoi les deux femmes ont fait fabriquer des métiers à tisser simples et ont conclu des contrats avec des brodeuses. Et Sahilemariam se spécialise en création textile.
Le bonheur de transmettre son savoir
Quoi qu’elles aient déjà accompli, Sahilemariam et Fitfite estiment que leur entreprise doit continuer à se développer. Non seulement pour elles-mêmes, mais pour pouvoir offrir du travail à de nombreuses femmes.
«Beaucoup de jeunes partent à l’étranger parce qu’ils ne croient plus avoir la possibilité de bâtir quelque chose dans leur propre pays», explique-t-elle. Cela la rend triste. Elle est convaincue d’une chose: personne ne vivrait à l’étranger comme un esclave si une chance lui était donnée ici. Une chance qu’elle a saisie et qu’elle offre à d’autres maintenant. Car son entreprise n’est pas qu’un atelier de production, c’est aussi un lieu de formation. Sahilemariam et Fitfite sont qualifiées pour enseigner aux apprenti·e·s du programme d’Helvetas et 40 d’entre eux ont déjà été formés par leurs soins; même les écoles professionnelles étatiques leur envoient des classes pour des stages.«Que vaudrait mon savoir si je ne pouvais pas le transmettre», déclare Sahilemariam.»
Aucune des deux jeunes femmes ne s’était assise devant une machine à coudre avant la formation d’Helvetas. Une fois diplômées, elles ont obtenu un premier emploi. Mais assez vite, elles se sont mises à calculer et constaté qu’il y avait là un potentiel. Elles ont lancé leur entreprise et loué une première machine. Ce courage entrepreneurial allait vite être payant.
Sahilemariam est heureuse de ne plus représenter un poids financier pour sa mère, qui est veuve, et qui a eu son premier bébé à 13 ans déjà. À 25, elle avait accouché de ses six enfants. À la mort précoce de son mari, elle a dû les élever seule.
Si l’on évoque le reportage de la télévision, Sahilemariam le conteste en secouant la tête. Aujourd’hui, d’autres femmes réussissent en Éthiopie dans le monde des affaires. «Mais, ajoute-t-elle objectivement, nous étions les plus jeunes et nous sommes parties de rien.» De temps à autre, des clients la prennent pour une employée, car ils sont incapables d’imaginer qu’il s’agit de sa société. Cela l’amuse, elle qui réunit la modestie typique amharique et la timidité de la jeunesse avec la calme assurance d’une femme d’affaires en devenir.
«Sahilemariam Shebabaw, Manager», voilà ce qu’on peut lire sur un document affiché à la paroi de l’atelier. Mais la jeune directrice dénigre encore – ce n’est qu’une formalité. Quand il y a beaucoup à faire, elle travaille, comme les autres, durant de longues heures à la machine à coudre. En cette période de Carême précédant Pâques, c’est calme. Néanmoins, la jeune société arrive tout de même à payer cinq employées fixes. D’autres travaillent de manière saisonnière à des conditions équitables.
Quand les couturières et couturiers du «Sahilemariam & Fitfite Men and Women Modern Tailoring Shop» lèvent les yeux de leurs machines, ils peuvent lire sur le mur, écrit en grandes lettres: «Un jour, tu y arriveras!» Un panneau, une simple maxime. Mais ils savent que c’est plus que cela. Leur jeune cheffe le prouve jour après jour.