Mariama Coulibaly ramasse des branches et hisse le fagot sur sa tête. Elle a besoin de bois non seulement pour son ménage mais aussi pour le «chorkor», un four spécial avec lequel elle fume du poisson en compagnie de beaucoup de femmes.
Mais il en sera question plus tard. Ceci est l'histoire de gens qui, grâce à un meilleur accès à l'eau, grâce à des semences adaptées au changement climatique et surtout grâce à des prévisions météorologiques peuvent continuer de vivre dans les régions arides du Sahel. Là où les pluies, devenues imprévisibles, sont traditionnellement déterminantes pour les travaux agricoles: elles commencent plus tard, sont diluviennes et provoquent des inondations, ou elles sont insuffisantes et menacent les cultures et donc la survie de milliers de familles comme celle de Mariama, 32 ans, et de son mari Daouda N’Tana Coulibaly, 35 ans. Le couple vit dans le village de M’Penesso, qui se trouve près de San dans la région de Ségou.
Des pluies trop rares et éparses
«Mon père et mon grand-père cultivaient des variétés de plantes à cycle long de 120 jours sur des petites parcelles. La pluie hivernale durait toute la saison et la récolte permettait de nourrir notre famille une année entière», raconte Daouda.
Au fil du temps, les sols se sont appauvris à cause des quantités d’engrais chimiques utilisés pour la monoculture du coton. Ces dix dernières années, les pluies se sont faites rares et éparses, il est devenu impossible de compter sur elles, comme l’explique Daouda. Les plantes ont été attaquées par des maladies, les semences n’étaient pas adaptées à la nouvelle situation. «Le rendement de ma petite parcelle était faible et je ne savais pas quoi faire», ajoute l’agriculteur.
Des propos que ne reflète pas l’étendue verte et dorée dans laquelle Daouda travaille. Il fauche les pousses de riz à coups de serpe. Son champ fait sa fierté: «Je fais partie des plus grands producteurs de riz dans ce village, déclare-t-il avec un large sourire. Mon rendement a presque doublé car toute ma parcelle est irriguée.» Désormais, sa récolte lui rapporte plus de 130 sacs de riz de 70 kilos chacun. Les années précédentes, il n’avait produit que 70 sacs.
Travailler pour l’avenir malgré le changement climatique
Daouda et Mariama participent tous deux au projet Nyèsigi, qui signifie «Construisons notre avenir» qu’Helvetas réalise pour soutenir les populations de 18 communes de la région. Daouda cultive le riz, Mariama est productrice de poisson fumé et maraîchère. Le projet, qui a démarré en 2020 après une phase pilote, vise à transmettre aux fermes familiales les mesures nécessaires pour adapter leur production aux aléas du climat. Il favorise également l’adoption des technologies innovantes pour préserver les ressources naturelles et créer des emplois dans «l’économie verte».
Face aux perturbations climatiques, disposer d’informations agrométéorologiques précises ainsi que de nouveaux savoirs est essentiel pour les agriculteurs. «Avant, je faisais mon travail selon ma compréhension des choses, admet Daouda. Maintenant, dès qu’il commence à pleuvoir, je vais me renseigner sur la démarche à entreprendre: est-ce le bon moment pour semer? Ou faut-il attendre? Combien de temps?».
Daouda Coulibaly, riziculteur
Des jeunes collectrices et collecteurs de données météorologiques formés par le projet savent répondre à ces questions. D’autre part, des paysans de la région ont été appuyés pour produire et vendre des semences adaptées au climat: du mil, du riz et du sorgo qui poussent plus vite, qui résistent à la sécheresse et aux maladies.
Le terrain où se trouve le champ de Daouda a été aménagé par des cultivateurs de 30 villages, qui s’impliquent dans la gestion du sol, de l’eau, des taxes et des coûts de réparation de pompes. Cette structure a largement réduit le risque de conflits survenant avec l’épuisement des ressources.
Méthodes traditionnelles, nouveaux savoirs
Lors des rencontres sur des champs où les formations ont lieu, les producteurs apprennent de nouvelles techniques comme le semis direct sans labour préalable, les cultures intercalaires, le compostage rapide, mais aussi les méthodes traditionnelles sahéliennes comme le «zaï»: à l’aide d’une pioche, les agriculteurs creusent des demi-lunes dans la terre pour favoriser l’accumulation de matière organique et pour collecter l’eau de ruissellement. Ces pratiques permettent de réhabiliter les sols dégradés et de préserver leur fertilité.
«Nous recevons des conseils et des informations météorologiques transmis par les jeunes pendant la période hivernale, ce qu’ils font le plus souvent directement sur le champ», explique Daouda. Pendant la saison du maraîchage, sa femme Mariama reçoit des recommandations sur les légumes à planter, les techniques culturales et le traitement des plantes.
Aujourd’hui, grâce aux prévisions météorologiques, aux semences adaptées et aux nouvelles connaissances acquises, le couple réussit à subvenir aux besoins de la famille. «Nous avons pu mettre de côté près de 100’000 francs CFA (175 francs) pour les frais médicaux, la scolarité et les vêtements de nos trois filles – ce qui était difficile avant.» La famille a même acheté un téléviseur qui fonctionne grâce à un panneau solaire, et le vélo a fait place à une moto.
Daouda et Mariama sont heureux que leur famille profite maintenant d’une bonne alimentation à base de riz et de légumes. De plus, tous les soirs après le travail dans le champ, Daouda va pêcher dans le barrage de M’Penesso qui a été réhabilité par le projet. Ce barrage permet aux paysans d’irriguer leurs champs et aux femmes de fumer le poisson qui y est pêché.
Le poisson séché, source de revenu
Mariama produit elle aussi du poisson fumé – une activité traditionnelle qui permet aux femmes de gagner un petit revenu en plus. Avant, cette tâche était laborieuse. Il fallait aller chercher beaucoup de bois loin du village et rester longtemps devant un feu qui dégageait des fumées toxiques. Mariama est désormais contente de rejoindre les autres productrices de poisson fumé, car un nouveau modèle de four est utilisé: le chorkor est conçu pour réduire la consommation de bois et donc pour préserver les ressources naturelles, tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Il permet d’améliorer la qualité du poisson fumé et facilite le travail des femmes car le processus de fumage ne dure plus que huit à douze heures au lieu des 48 nécessaires avec les fours traditionnels. Mariama met ce gain de temps à profit pour d’autres activités, notamment celles de son petit commerce et les tâches ménagères
«J’arrive à produire jusqu’à 40 kilos de poisson fumé chaque mois, et comme il se conserve pendant plus de neuf mois, je peux les vendre sur le marché quand le poisson se fait rare – à un prix trois fois plus élevé», raconte Mariama. Ses revenus ont augmenté de plus de 30%. Le projet Nyèsigi a installé quatre fours à M’Penesso, gérés par des groupes de femmes productrices, et des jeunes artisans du village ont été formés à pour les construire.
Le foyer sur lequel Mariama prépare chaque jour le riz ou le fonio pour sa famille est aussi spécial. Il s’agit d’un modèle en argile qu’elle a construit avec l’aide d’autres femmes et de partenaires du projet. «Grâce à ce foyer, j’économise une heure dans la préparation des repas et j’ai besoin de moins de bois qu’avant. Cela signifie que je ne dois plus passer autant de temps à aller en ramasser. Mais avant tout, je cuisine les repas sans respirer de fumée nocive, sans risquer de brûlures et sans être en sueur, ajoute-elle en souriant. J’ai plus de temps pour cultiver mes tomates et mes oignons et pour produire mon poisson fumé».
Ses journées très chargées, qui commencent à cinq heures du matin quand la famille dort encore, sont maintenant moins pénibles. Et le soir, Mariama et son mari peuvent aider Alima, leur fille ainée de sept ans, à faire ses devoirs, et puis regarder leur deuxième fille Sali, cinq ans, jouer avec la petite dernière, Kadia, un an. Le couple imagine pour elles un avenir prospère à M’Penesso, malgré le défi du changement climatique. «Notre espoir est que nos enfants grandissent ici au village dans de bonnes conditions grâce à notre production agricole adaptée au changement climatique, grâce aux nouveaux savoirs», affirme Daouda.
La situation sécuritaire au Mali
Depuis 2012, la situation sécuritaire et politique ne cesse de se détériorer au Mali. Des groupes armés non étatiques et des réseaux criminels transfrontaliers luttent pour le contrôle des voies de contrebande et de trafics illicites dans le nord. Les attaques des groupes djihadistes et des milices ont fait de nombreuses victimes et forcé plus de 300’000 personnes à fuir leurs villages à ce jour. Malgré la présence de missions militaires et les forces armées maliennes, la violence s’est étendue jusqu’au centre du pays. La région du projet autour de San, où vivent Mariama et Daouda Coulibaly, n’est pas concernée actuellement par cette violence et l’équipe du projet peut toujours se déplacer librement.