L'initiative pour des multinationales responsables est soumise à votation populaire: le verdict sortira des urnes le 29 novembre prochain. Après des années d’allers-retours sur le sujet de l’initiative, le Parlement a opté pour un contre-projet indirect édulcoré – malgré une solution équilibrée posée sur la table. Nous allons enfin voter. Helvetas invite à dire OUI à la revendication de l'initiative, qui demande que les multinationales répondent pleinement de leurs actes et assument leurs responsabilités en cas d'atteintes aux droits humains et à l'environnement dans des pays du Sud.
Par Bernd Steinmann
Difficile de résumer l’odyssée longue de plusieurs années dont l’initiative pour des multinationales responsables (IMR) a été le sujet dans la Berne fédérale. Après son dépôt en octobre 2016 soutenue par plus de 120’000 signatures valables, le Conseil fédéral annonce, une année plus tard, le rejet de l’initiative populaire et renonce à un contre-projet. Ce qui suivra est un débat parlementaire semblable à une épopée. Au final, deux contre-projets s’affrontent: d’un côté la proposition du Conseil national, qui certes affaiblit l’initiative mais qui maintient ses exigences centrales, ce qui permettrait le retrait de l’initiative et l’abandon d’une votation. De l’autre côté, la proposition de la ministre de la justice, Karin Keller-Sutter, qu’elle ne mettra en jeu qu’en automne 2019 via le conseil des États, lorsqu’elle réalisera que l’initiative recueille un soutien populaire solide et permanent et que le contre-projet du Conseil national a de bonnes chances de succès.
C’est pourquoi, à la dernière minute et pour éviter «le pire», elle sort du chapeau une nouvelle variante, qui n’a toutefois rien à voir avec la demande initiale de l’initiative. En conséquence, le débat parlementaire est reporté de plusieurs mois, ce qui exaspère même des politiciens bourgeois comme le conseiller national PDC d’Obwald, Karl Vogel: «Ce qui se passe actuellement n’est de loin pas une affaire parlementaire sérieuse.» Mais le calcul de Mme Keller-Sutter se vérifie: début juin 2020, le Parlement accepte de justesse d’opposer son contre-projet affaibli à l’initiative. La conséquence est claire: la votation populaire sur l’IMR aura bien lieu.
Un contre-projet vide de sens
Quel est l’argumentaire du contre-projet et pourquoi les initiants – dont Helvetas – le rejettent-ils? Fondamentalement, le contre-projet se base sur les normes minimales de l’UE sur les entreprises et les droits humains, en vigueur depuis 2016. Ces normes obligent les entreprises à publier chaque année un rapport sur leur gestion des risques dans le domaine des droits humains et environnementaux. En Suisse, un tel système devrait être introduit pour les entreprises comptant plus de 500 postes à temps plein, celles-ci pouvant être dispensées de cette publication «dans certains cas justifiés». La seule nouveauté comparativement à ce qui existe déjà serait donc la publication d’un rapport supplémentaire.
Mais les entreprises n’auraient toujours aucune conséquence juridique à craindre, même en cas de graves violations des droits humains et d’atteintes aux normes environnementales. Tout resterait donc inchangé. Même la NZZ a décrit l’obligation de rendre des comptes comme étant un «tigre de papier», ce qui ne conduit guère à diminuer les actes irresponsables. L’UE l’a aussi reconnu désormais: son commissaire à la justice a récemment annoncé un durcissement significatif, incluant une clause de responsabilité. Le contre-projet du département suisse de justice repose donc sur une réglementation qui non seulement est manifestement inefficace, mais qui sera caduque dans quelques années à peine.
Le risque de responsabilité civile – au centre de l’initiative
Le contre-projet n’a plus rien en commun avec l’idée même de l’initiative pour des multinationales responsables. Car il ne reste rien de la question centrale – soit que les entreprises basées en Suisse répondent des atteintes qu’elles portent aux personnes et à l’environnement à l’étranger. Les rapports répétitifs sur les pratiques commerciales grandement discutables des sociétés suisses à l’étranger l’ont clairement montré ces dernières années, à ceux qui voulaient le voir: le volontariat et l’engagement librement consentis ne mènent à rien quand les violations répétées des droits ne sont pas sanctionnées par la loi. Au Pérou et en Zambie, les mines de plomb et de cuivre appartenant à la multinationale suisse de matières premières Glencore dépassent régulièrement et largement les limites nationales fixées pour les substances dangereuses, ce qui engendre des problèmes chroniques de santé et des troubles du développement, surtout chez les enfants. Le groupe bâlois Syngenta continue de vendre en Inde des pesticides hautement toxiques, qui sont depuis longtemps interdits en Suisse – et s’accommode délibérément des cas d’empoisonnement graves et des décès de paysannes et de paysans indiens. Et il est avéré que la raffinerie de Suisse occidentale Metalor a extrait de l’or d’une mine où les conditions de travail sont semblables à celles de l’esclavage. Mais dans aucun de ces cas, les centrales de ces entreprises suisses n’ont été obligées de rendre des comptes. Elles se bornent à de belles paroles et à la promesse de mieux faire la prochaine fois. Mais pour les gens concernés sur place, «la prochaine fois» arrive le plus souvent trop tard.
Cela devrait être une évidence: qui cause du tort à un tiers doit en endosser la responsabilité. Pourtant, sans risque de responsabilité civile, de trop nombreuses grandes entreprises continuent de s’absoudre de toute responsabilité. L’IMR veut remédier à ce dysfonctionnement, en donnant aux gens concernés la possibilité de poursuivre en justice une multinationale fautive pour dommages et intérêts. Le contre-projet alibi n’est rien de plus que la tentative d’empêcher précisément cela.
Une alliance étendue
Des opposants reprochent volontiers aux initiants une hostilité à l’égard de l’économie. Mais l’initiative n’est pas seulement soutenue par plus d’une centaine d’organisations de la société civile suisse et par plus de 250 comités locaux, elle l’est aussi par des dizaines de petites, moyennes et grandes entreprises suisses, des associations d’actionnaires ainsi que par un comité de politiciennes et de politiciens bourgeois connus. Leur message commun est le suivant: les entreprises suisses peuvent jouer un rôle important pour le développement durable – si elles assument pleinement leurs responsabilités à l’égard des personnes et de l’environnement. Une grande partie des entreprises suisses le fait déjà aujourd’hui, mais celles-ci souffrent de la position des multinationales qui s’en lavent les mains. Depuis des années, Helvetas collabore aussi avec des entreprises suisses et en a tiré de nombreuses bonnes expériences. Il ne s’agit pas d’empêcher des activités à but lucratif dans des pays en développement mais d’imposer les mêmes règles pour tous.
C’est une alliance étendue très motivée, bien organisée en réseau et politiquement remarquable qui s’engage pour le succès de l’initiative dans les urnes. En votant OUI le 29 novembre, soutenez l’initiative pour des multinationales responsables!