Les accords de protection des investissements sont controversés, car, en cas de litige, ils favorisent unilatéralement les entreprises. Dans le Sud global, de nombreux gouvernements hésitent à entreprendre des réformes en matière de politique sociale, environnementale et climatique, car ils craignent des procédures longues et des dédommagements élevés.
Au cours des dix dernières années, le nombre de plaintes déposées par des entreprises auprès du CIRDI a doublé. CIRDI est l’abréviation de Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Fondé en 1965, il fait partie de la Banque mondiale et sert au règlement des différends dans le cadre d’accords bilatéraux et multilatéraux de protection des investissements (API). 165 pays sont membres de cette institution, sise à Washington.
Le contexte est le suivant: les entreprises n’investissent à l'étranger que lorsqu’elles bénéficient d’une protection juridique et souvent, elles ne veulent pas s’en remettre aux tribunaux locaux. Pour encourager les investissements à l’étranger, les pays concluent entre eux des accords de protection des investissements (API). Ces accords prévoient que les éventuels litiges concernant les affaires d’investisseurs étrangers soient jugés par un tribunal arbitral indépendant tel que le CIRDI. Les entreprises peuvent ainsi faire valoir des prétentions financières à l’encontre du gouvernement si celui-ci ne respecte pas ses engagements ou – ce qui arrive plus souvent – s’il modifie le cadre politique ou économique de telle sorte que les investisseurs étrangers craignent d’être désavantagés. En l’absence d'un régime global de protection des investissements, 3000 API bilatéraux ont été négociés dans le monde entier; la Suisse a conclu à elle seule plus de 120 API. La NZZ rapporte que «l’application des jugements à l’égard des États est extrêmement complexe et coûteuse» – il faut faire preuve de persévérance pour mener à bien les processus malgré tous les obstacles.
Les tribunaux d’arbitrage: un mécanisme qui présente des faiblesses
Les premiers API sont apparus au cours de la décennie de la décolonisation pour protéger les investisseurs des pays occidentaux. Il n’est donc pas étonnant que seules les multinationales puissent porter plainte contre les États – jamais l’inverse: dans tous les cas, c’est donc l’État qui est l’accusé et les gouvernements n’ont pas la possibilité de contester la décision du tribunal.
Bien que les négociations soient «d’intérêt public», elles se déroulent en grande partie à huis clos. Les ONG ou les groupes indigènes ne sont pas entendus. Néanmoins, depuis peu, de plus en plus de documents écrits des parties et de décisions des tribunaux arbitraux sont disponibles en ligne. La principale critique est toutefois que les pays sont excessivement limités dans leur souveraineté. L’application de la protection des investissements peut entraver les décisions politiques. Rien qu’en menaçant de demander des dommages et intérêts, les investisseurs étrangers peuvent exercer une influence sur la législation d’un pays.
Trois exemples: en 2015, un tribunal arbitral a condamné l’Argentine à payer plus de 405 millions de dollars américains au groupe français de distribution d’eau Suez. À l’origine, celui-ci réclamait même 1,2 milliard parce que le gouvernement argentin avait plafonné les prix de l’eau et de l’électricité après la crise financière de 2001 pour protéger la population appauvrie. En 2021, l’Équateur a été condamné à verser 374 millions à Perenco, dont la société mère est enregistrée dans le paradis fiscal des Bahamas. Comme le président équatorien de l’époque avait réclamé pour son pays des recettes d’exportation de pétrole plus élevées après la crise financière de 2008, le groupe pétrolier français avait exigé un dédommagement de plusieurs milliards. En 2022, des investisseurs allemands et américains ont exigé du Honduras près de 11 milliards de dollars de dédommagement, soit deux tiers du budget de l’État. La raison en était que le gouvernement actuel avait mis un terme à un projet de «villes privées» libertaires et extraterritoriales dotées de leur propre législation, que le gouvernement précédent lui avait fait miroiter.
Les accusés sont principalement des pays en développement
Le nombre de plaintes déposées de 2015 à 2018, en 2020 et en 2021 est particulièrement élevé. Rien qu’en 2021, de nouvelles procédures de règlement des différends entre investisseurs et États (Investor-state Dispute Settlement, ISDS) ont été lancées contre 42 pays. Le Pérou a été l’accusé le plus fréquent avec six cas connus, suivi de l’Égypte et de l’Ukraine, avec quatre cas chacun. Cinq pays – le Cambodge, le Congo, la Finlande, Malte et les Pays-Bas – ont été confrontés à leurs premières plaintes ISDS connues. Jusqu’à présent, au moins 130 pays ont été poursuivis dans le cadre d’une ou de plusieurs procédures ISDS.
Environ trois quarts des 68 cas en 2021 ont été portés par des entreprises de pays industrialisés. Comme les années précédentes, la majorité des nouveaux cas – environ deux tiers – ont été déposés contre des pays en développement. Il s’agit le plus souvent de mines de charbon et de métaux, d’énergie hydraulique et d’exploitation du bois, d’extraction de pétrole et de gaz ou de production de denrées alimentaires et de fourrage pour l’exportation. Les pays concernés sont, entre autres, le Chili (mine de cuivre), la Colombie (mine de charbon), l’Égypte (production de ciment), le Congo (mine de fer), le Pérou (mine de cuivre), l’Ukraine (gaz naturel), la Tanzanie (terres rares) ou encore le Guatemala (mine d’or).
L’année dernière, le nombre de procédures de règlement des différends entre investisseurs et États a augmenté pour atteindre un total de 1332. Sur les 958 affaires litigieuses clôturées, les gouvernements défendeurs ont été acquittés dans 37% des cas. Dans 47% des cas, la procédure a été favorable aux entreprises, soit parce que les tribunaux arbitraux ont condamné les gouvernements dans le sens de l’accusation (28%), soit parce qu’un accord a été trouvé (19%). Cependant, la menace d’une procédure d’arbitrage incite déjà les gouvernements à ne pas faire valoir pleinement leurs intérêts légitimes ou à payer d’emblée des amendes afin d’éviter une sanction éventuellement encore plus lourde en cas de sentence arbitrale.
Les tribunaux d’arbitrage retardent-ils la transition vers les énergies renouvelables?
Les plaignants se prévalent souvent d’accords multilatéraux tels que le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Si un pays décide, pour des raisons de politique climatique, de fermer une centrale à charbon, de promouvoir davantage les énergies renouvelables ou de sortir du nucléaire, les investisseurs étrangers peuvent réclamer des dédommagements de plusieurs millions, voire milliards, sur la base de la Charte de l’énergie. Avec pour conséquence de freiner la transition énergétique nécessaire et la lutte contre la crise climatique.
La Charte de l’énergie est de plus en plus critiquée, à juste titre, parce qu’elle protège les entreprises qui investissent dans les énergies fossiles. En 2021, la Cour de justice européenne a déclaré cette institution inefficace pour les litiges entre les États membres de l’UE, notamment parce qu’elle craignait qu’elle ne limite les gouvernements européens dans l’élaboration de leurs politiques. En 2012, le groupe énergétique suédois Vattenfall avait par exemple porté plainte contre l’Allemagne dans le cadre d’une procédure d’arbitrage en raison de sa décision d’avancer l’abandon du nucléaire, motivée par des considérations de sécurité et de politique climatique. En 2021, les deux parties ont trouvé un accord – le groupe a obtenu un dédommagement de 1,4 milliard d’euros. Entre-temps, l’Espagne, la France, la Pologne, les Pays-Bas et l’Allemagne ont décidé de résilier la Charte de l’énergie. D’autres pays européens envisagent de la quitter. Pour l’instant, la Suisse ne voit pas de raison de le faire.
En même temps, les responsables reconnaissent les signes des temps: en se référant à la Charte de l'énergie, le groupe énergétique allemand Uniper avait poursuivi les Pays-Bas en 2021. Le groupe avait investi 1,5 milliard d’euros dans une centrale à charbon et pensait pouvoir l’utiliser encore 40 ans. Comme la centrale doit être arrêtée au plus tard en 2030 en vertu d’une nouvelle loi, le fournisseur d’électricité a porté l’affaire devant le tribunal arbitral du CIRDI. La plainte a toutefois été rejetée, car les mesures prises par le gouvernement pour réduire les émissions de CO2 étaient «proportionnées» et «prévisibles» compte tenu de l’urgence de la transition énergétique. La décision du tribunal devrait créer un précédent important pour des litiges similaires.