Nous sommes en deuil de Peter Arbenz, qui a marqué Helvetas de manière décisive en tant que directeur exécutif de 1969 à 1973 et comme président de 2001 à 2012. Son engagement sans faille a sûrement pris racine dans une famille politiquement engagée, qui s'est, entre autres, investie pour les personnes réfugiées et a toujours thématisé les injustices de ce monde. Il disait de lui-même qu'enfant déjà, il savait qu’il voulait s'engager pour les personnes moins privilégiées.
L'histoire mouvementée de l'Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a tant bouleversé le jeune Peter Arbenz qu'à 20 ans, il est parti en Hongrie pour le CICR dans le but d'aider des familles à retrouver leurs proches qui avaient fui. Un semestre d’études à Londres a ébranlé son idée de l'Afrique: par les discussions avec ses camarades d'Afrique de l'Est, il a appris l’existence de nombreux problèmes qui étaient absents de l’image qu’il avait du continent. Il s'est ensuite rendu lui-même en Afrique, comme il le raconte dans le livre «Die andere Seite der Welt. Was Schweizerinnen und Schweizer im humanitären Einsatz erlebt haben» (L’autre côté du monde. Expériences de Suissesses et de Suisses dans l’action humanitaire).
Ses impressions de la Hongrie, de Londres et de l'Afrique ont renforcé son intérêt pour la coopération au développement. C'est le début de l'histoire commune de Peter Arbenz et d'Helvetas: il est devenu membre du comité du groupe régional de Winterthour, un engagement bénévole pour «sensibiliser les habitants de Winterthour aux problèmes globaux de développement».
En 1962, Helvetas – qui s'appelait alors Association suisse d’aide aux régions extra-européennes (ASRE) – l'a engagé comme secrétaire pour l'étranger. Six mois plus tard, il se rendait en Tunisie avec sa jeune famille pour diriger un projet de formation professionnelle. De jeunes orphelins – tous des hommes – étaient formés dans des ateliers pour installateurs-électriciens, installateurs sanitaires, mécaniciens, serruriers et agriculteurs. Pour la première fois, Peter Arbenz dirigeait une équipe, et il a très rapidement assumé des responsabilités logistiques et de gestion. «Ce poste a été mon cours accéléré en gestion de projet», a-t-il par la suite expliqué.
La Tunisie était alors une dictature, ce qui ne constituait pas une raison pour renoncer à la coopération au développement pour Helvetas. À l'époque déjà, Helvetas considérait l'aide au développement comme un travail politique visant à encourager les personnes à prendre en main leur destin et celui de leur pays. C'est pourquoi Helvetas était vue par d’aucuns comme une organisation «de gauche» ou «révolutionnaire». Peter Arbenz a tenu tête à cette étiquette, que ce soit en tant que directeur (1969-1973) ou comme président du comité central (2001-2012): un bon équilibre politique, tant au niveau de la direction que de la base de l'association, était important pour lui.
Peter Arbenz défendait une position libérale-radicale ouverte sur le monde et a notamment soutenu l'initiative pour les multinationales responsables. Économiste, il a toujours considéré que l'économie ne constituait pas une source d’enrichissement personnel, comme il l'a dit un jour, mais un moyen «de créer des conditions socialement plus justes». Le bien-être des populations des pays du Sud global lui tenait à cœur. Son investissement sans relâche a montré de manière exemplaire que l'engagement en faveur des personnes moins privilégiées découle d'une attitude profondément humaine, indépendamment de l'appartenance à un parti. Il se distinguait par une compréhension différenciée des grandes réalités mondiales et une conviction inébranlable en faveur de la justice sociale – des éléments particulièrement importants à notre époque de plus en plus polarisée, et qui ont guidé Helvetas depuis ses débuts.
De 1964 à 1967, Peter Arbenz a travaillé pour la DDC – qui s’appelait alors «Service (délégué) à la coopération technique» – au Népal dans le domaine de la réintégration de personnes réfugiées tibétaines. Un engagement humanitaire du CICR que la Suisse a transformé, avec le soutien de Peter Arbenz, en un projet de coopération au développement à long terme. Malgré cet important succès, Peter Arbenz n'a jamais cédé à l'illusion que la coopération au développement pouvait à elle seule changer un pays. Il était en revanche convaincu que des interventions ponctuelles pouvaient avoir un impact à l'échelle de tout un pays.
En 1969, Peter Arbenz a pris la direction d'Helvetas. C'est pendant son exercice que l’organisation a démarré son activité en Amérique latine. En Afrique, Helvetas s'est mise à la recherche d'organisations partenaires dans de nouveaux pays. À l'époque déjà, Helvetas ne s'engageait dans un pays que si elle y trouvait des partenaires locaux fiables.
Après son activité en tant que directeur, Peter Arbenz a fait un détour par le secteur privé et s’est aussi lancé en politique. Il a été conseiller municipal et chef du département de la construction de Winterthour pour le PLR. Parallèlement, il a siégé au Comité international de la Croix-Rouge, l'organe de direction stratégique du CICR. Sous la conseillère fédérale Elisabeth Kopp, il est devenu délégué aux réfugiés, puis directeur de l'ancien Office fédéral des réfugiés.
La migration ne faisait alors pas partie des thèmes d'Helvetas. Une réalité qui a changé avec l’élection de Peter Arbenz à la présidence du comité central en 2001, car il était convaincu de l’effet inhibiteur de la coopération au développement sur la migration. Selon lui, les personnes en mesure de se bâtir une existence dans leur pays, les personnes qui ont des enfants en bonne santé grâce à l’accès à l'eau propre ne sont pas contraintes d'émigrer. Cela n’empêchait pas Peter Arbenz de voir que la migration, en tant que phénomène mondial, est inévitable. Il comprenait que la Suisse dépend elle aussi de l'immigration pour maintenir sa prospérité. Durant son mandat en tant que président, Helvetas a élargi l’éventail de ses thèmes stratégiques. Les droits humains, l'égalité des chances et l'égalité des sexes ont pris plus de poids dans le travail de projet. Par ailleurs, Helvetas a mis en place des projets dans les domaines de travail «société civile et État» et «règlement pacifique des conflits». Ces thèmes et domaines de travail font aujourd'hui partie intégrante des activités d'Helvetas.
La fusion réussie d'Helvetas avec Intercooperation a marqué le point fort de la présidence de Peter Arbenz. Convaincu que les deux organisations pouvaient obtenir davantage en agissant ensemble, il a négocié l’opération avec Elmar Ledergerber, alors président d'Intercooperation, dans un esprit de compromis – et avec succès. La fusion achevée, Elmar Ledergerber a pris la présidence de la nouvelle organisation, tandis que Peter Arbenz s'est retiré du comité directeur.
En sa qualité de président d'honneur d'Helvetas, Peter Arbenz est resté une voix importante dans la politique de développement suisse. Il était entendu et écouté par tous les camps politiques. Il s'est notamment engagé en faveur d'une augmentation des fonds publics pour la coopération au développement et il tenait à ce que la Suisse ne se cache pas derrière sa neutralité au niveau international. Les principes de politique nationale tels que la solidarité, l'engagement et l'ouverture au monde étaient non négociables pour lui. Et il a toujours tenu tête aux personnes qui remettaient en question le principe même de la coopération au développement.
Peter Arbenz s'est engagé toute sa vie durant pour un monde meilleur. Il était convaincu que la coopération au développement contribue à la paix. Pour lui, il y avait toujours diverses manières d'atteindre un objectif commun, du moment que l'être humain reste au cœur des préoccupations. Il s'est engagé pour les autres – ici, en Suisse, et dans les pays du Sud global.
Avec Peter Arbenz, nous perdons un allié hautement respecté, qui savait aussi être critique et qui s'est investi sans relâche pour Helvetas et les objectifs de l'organisation. Nous lui devons une grande reconnaissance et garderons de lui un souvenir empreint de respect et de gratitude pour les innombrables services qu'il a rendus à notre organisation. Nous présentons nos sincères condoléances à ses proches.