Économie inclusive post-coronavirus pour le bien de tous

Les piliers d'un système économique inclusif et durable
PAR: Geert van Dok - 03 juillet 2020

Les gouvernements tentent d'atténuer les dégâts socio-économiques provoqués par le confinement dû au coronavirus à l'aide de plans de sauvetage de grande ampleur. Cependant, certaines personnes bien placées et privilégiées risquent d'en tirer profit, alors que beaucoup d'autres seront laissées pour compte. Les mesures de secours doivent impérativement contribuer au développement d'une économie durable et inclusive pour tous. Cela inclut le travail décent, la neutralité climatique et un système fiscal équitable.

Les conséquences de la pandémie de coronavirus pèsent lourdement sur la société et l'économie de tous les pays touchés. Mais la crise offre aussi la possibilité de s'arrêter un temps et d'examiner de manière critique les situations et les habitudes existantes - par exemple, la demande «évidente et naturelle» d'accès et de consommation de biens et de services. Ou encore l'interaction politique entre gouvernement, parlement, économie et société civile, ainsi que les faiblesses et les déficits des institutions nationales et des systèmes internationaux.

Le coronavirus a frappé de plein fouet des économies nationales aux capacités de gestion restreintes et, plus particulièrement les personnes vivant dans la pauvreté. Chute des exportations, augmentation du coût du crédit: les pays en développement déjà endettés sont menacés par une nouvelle crise de la dette. Les familles de travailleurs pauvres des pays industrialisés et en développement en sont aussi victimes. Elles sont bloquées dans des emplois mal rémunérés, avec de mauvaises prestations sociales, peu de possibilités de progresser et une insécurité économique. Ou ce sont des travailleurs indépendants dans des secteurs fortement touchés par la pandémie. Le coronavirus est une menace de survie pour toutes celles et tous ceux qui travaillent dans le secteur informel ou qui sont actifs aux premières lignes; pour toutes celles et tous ceux qui vivent dans des habitations surpeuplées ou dans des camps de réfugiés; pour toutes celles et tous ceux qui souffrent de malnutrition, qui ont des problèmes de santé ou d'handicap et qui n'ont aucune assurance.

Pas d'effet "trickle down" pour les victimes de la pandémie

Certains parties de la société et différents secteurs de l'économie bénéficieront des plans de secours, et la majorité de la population restera sans doute à la traîne. Celle-ci va de plus en plus remettre en question le sens de la croissance économique, quand les profits sont privatisés et les pertes socialisées, quand quelques-uns s'enrichissent pendant que beaucoup d'autres s'appauvrissent et doivent travailler toujours plus dans le seul but de conserver le même niveau de vie. Continuer à faire du "business habituel" après la pandémie n'est tout simplement pas envisageable.

Les conséquences de la crise du coronavirus ont définitivement annoncé la fin du mythe de "l'effet de ruissellement ou trickle-down effect", théorie selon laquelle la croissance économique et la prospérité des nantis, de par leur consommation et leurs investissements, ruisselleraient petit à petit jusqu'aux groupes défavorisés de la société. Même avant cela, partout dans le monde, des milliers de jeunes en majorité sont descendus dans les rues pour manifester contre cette répartition inégale de la richesse. Si, dans le cadre de la pandémie, les mesures de secours continuent à ne profiter qu'aux nantis et aux actionnaires, renforçant ainsi les inégalités économiques, cela peut mener à une fracture sociale, à une hausse des migrations et même à une nouvelle et dangereuse vague de populisme.

Lier les mesures de secours à des conditions

Le «Grand Confinement» ou crise du Covid-19 a plongé de nombreux pays dans une récession plus profonde que celle ayant frappé pendant et après la crise financière de 2008. Mais bien que la crise financière passée et l'actuelle pandémie présentent de grande différences, la manière dont les plans de secours ont été planifiés et mis en œuvre est comparable. Face à la crise du coronavirus, les gouvernements ont pris les mêmes mesures économiques qu'à l'époque. Également connues sous le nom d'«incitations fiscales», leur objectif  est de maintenir les entreprises à flot et de soutenir les populations. Mais lors de la crise de 2008, les premières mesures visant la stabilisation conjoncturelle ont rapidement été remplacées par une politique d'austérité drastique, alors que cette évolution n'est pas observable à l'heure actuelle.

Il est incontestable que les dégâts économiques causés par la pandémie doivent être atténués le plus rapidement possible par des décisions de politique monétaire et fiscale. Cependant, noyer les économies nationales sous des plans de secours qui ne sont pas liés à des conditions - ce qui revient presque à des «chèques en blanc» - est discutable. Car les mesures doivent contribuer à jeter les bases d'une reprise et d'un développement durables et inclusifs.

Trois piliers d'une économie durable après la pandémie

Les sociétés devront accepter une «nouvelle normalité»: vivre en cohabitation avec des vecteurs pathogènes. L'ampleur et la rapidité de la relance et du processus dépendront de la manière dont les mesures économiques immédiates seront formulées puis adaptées en permanence au cycle du coronavirus. Le processus de relance doit être utilisé pour construire et développer un système économique inclusif et durable. Une prospérité commune après la pandémie est réalisable. L'Agenda 2030 et ses objectifs de développement durable (ODD) montrent la voie. Trois éléments clés doivent être pris en compte.

  • Un retour rapide à l'emploi dans des conditions de travail correctes. Ces dernières, selon l'agenda du travail décent de l'OIT, incluent notamment un règlement contractuel de la relation professionnelle, un revenu approprié, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles. Le travail décent est synonyme d'intégrité, d'égalité des chances, d'égalité de traitement des femmes et des hommes et de perspectives de développement personnel. Investir dans de meilleures conditions de travail est rentable pour les entreprises à plusieurs titres: elles favorisent ainsi la productivité et l'efficience et contribuent à renforcer la résilience entrepreneuriale, la cohésion des équipes et la force d'innovation.

  • Des investissements dans une économie neutre sur le plan climatique, respectueuse de l'environnement et de la protection de la biodiversité. Car si des industries et des pratiques obsolètes et polluantes sont relancées pour créer rapidement de nouveaux emplois et augmenter la productivité, ce sera faire preuve de manque de clairvoyance. Agir ainsi porte atteinte au climat et menace à nouveau l'emploi. Les mesures de secours doivent ouvrir la voie à un développement social et économique respectueux du climat.

  • L'orientation visant à instaurer un système fiscal équitable et transparent, qui permette aux gouvernements d'investir dans un avenir durable. Les mesures de secours offrent l'opportunité d'attaquer les pratiques de fraude et d'évasion fiscale. Par exemple, la Pologne et le Danemark ont décidé de ne pas accorder d'aide financière aux sociétés enregistrées dans les ports offshore. Au Danemark, les entreprises qui sollicitent une aide dans le cadre de la pandémie de Covid-19 ne sont pas autorisées à distribuer des dividendes ni à transférer leur siège social vers des paradis fiscaux. En conditionnant le soutien apporté à une entreprise à ses bonnes pratiques commerciales, le comportement éthique peut être récompensé et les efforts déployés pour parvenir à une reprise durable après la crise peuvent être soutenus.

Une grande incertitude prévaut aujourd'hui quant à la manière dont le système économique mondial va se redresser et se développer. L'objectif commun des gouvernements, du secteur privé et des organisations de la société civile doit être de «ne laisser personne de côté», comme le revendique l'Agenda 2030. Il est dans l'intérêt de chacun que les pays en développement soient soutenus dans la construction d'un système économique post-coronavirus résilient et inclusif. Car «la pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous». Aujourd'hui comme hier, il n'y a rien à ajouter à ce principe fondamental de la Déclaration du 10 mai 1944 sur les buts de l'Organisation internationale du travail.

© Maurice K. Grünig / Helvetas
Collaborateur indépendant «Polit-Sichten»