Malgré les efforts déployés dans le monde pour lutter contre le réchauffement climatique, les objectifs de Paris ne sont pas encore atteints. Quelles en sont les raisons? Il existe quatre «leviers» qu’il faut actionner pour que nous puissions encore éviter la catastrophe climatique.
Dans trois mois exactement, la prochaine conférence sur le climat COP29 à Bakou (Azerbaïdjan) aura eu lieu. Nous saurons alors si l'histoire y aura été écrite ou non. Avant même l’ouverture de la conférence, des signes encourageants indiquent que la transition vers les énergies renouvelables s'accélère. Il apparaît très clairement aussi que les résultats en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ayant un impact sur le climat, d'adaptation aux conséquences du réchauffement climatique et de gestion des conséquences sont toujours nettement insuffisants.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) déclare que les émissions de CO2 devraient être réduites de 48 pour cent d'ici 2030 pour avoir une chance réelle de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, ce qui est crucial. En tenant compte de toutes les mesures promises par la communauté internationale, nous sommes actuellement sur la voie d’un réchauffement de 2,7 degrés d'ici 2100. Avec cette température, le monde serait différent - nettement moins sûr, plus dangereux et plus mortel.
L'ONU ne cesse d'avertir que la fenêtre se referme pour éviter des effets climatiques dévastateurs et pour agir de manière décisive. Mais elle ne cesse aussi de répéter que de nombreuses mesures nécessaires sont disponibles depuis longtemps – et sont même moins chères que les alternatives traditionnelles, néfastes pour le climat. Pour quelles raisons la transition tarde à se réaliser? Les quatre obstacles à surmonter sont essentiels pour maîtriser le changement climatique. Des obstacles auxquels la politique doit s'attaquer au plus vite. Tous les pays, y compris la Suisse, sont appelés à agir.
Obstacle 1: subventions aux énergies fossiles
En 2021, lors de la conférence de l'ONU sur le climat à Glasgow (COP26), il a été décidé d'abandonner le charbon au niveau mondial. La décision a été confirmée un an plus tard à Charm el-Cheikh (COP27). Mais à l'époque, la communauté internationale n'a pas voulu s'engager sur l'abandon du pétrole et du gaz, malgré la demande de nombreux pays. Ce n'est que lors de la COP28 à Dubaï en 2023 que l'on s'est mis d'accord sur une transition mondiale vers l'abandon des sources d'énergies fossiles. Il s'agit de la première décision d'une conférence sur le climat qui concerne l'avenir de toutes les énergies fossiles, c'est-à-dire le charbon, mais aussi le pétrole et le gaz.
Il manque toutefois un engagement clair en faveur de leur abandon, si bien qu’il est loin d'être poursuivi de manière conséquente. Un rapport du Fonds monétaire international (FMI) montre qu'en 2022, les États ont dépensé plus que jamais pour subventionner le gaz, l'essence et le charbon avec l'argent des contribuables – pas moins de 7 000 000 000 000 de dollars. Le trafic aérien, par exemple, ne connaît toujours pas de taxe sur le kérosène, ni au niveau international, ni en Suisse. De même, les carburants pour les voitures sont artificiellement réduits, en étant par exemple exemptés de la taxe sur le CO2 dans notre pays.
Obstacle 2: investissements nuisibles au climat
Les investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, les gestionnaires de fortune et les assureurs, tout comme les fonds spéculatifs et les banques, continuent de placer de l'argent à grande échelle dans des actions et des obligations d'entreprises actives dans le domaine des énergies fossiles. Une recherche datant de mai 2024 montre qu'actuellement environ 4 300 000 000 000 de dollars sont investis dans cette industrie. Les détenteurs de fonds, les actionnaires et les investisseurs financent ainsi le modèle d'affaires de l'industrie du pétrole, du gaz et du charbon, ce qui retarde la transformation durable de l'économie et de la société (Just Transition). Plus de 90% des investissements dans les énergies fossiles proviennent d'investisseurs de 10 pays – Etats-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne, Inde, Chine, Norvège, Suisse, France et Allemagne.
En gérant environ un quart des actifs transfrontaliers mondiaux, la place financière suisse disposerait d'un «levier» international efficace pour endiguer la crise du climat et de la biodiversité, mais elle ne l'actionne pas. 2024 doit être l'année où les gouvernements, les banques centrales et les régulateurs prennent des mesures pour rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques de Paris. Les investisseurs institutionnels doivent enfin réorienter systématiquement leurs billions vers la transition énergétique et la neutralité carbone.
Obstacle 3: compensation de la protection climatique dans les pays pauvres
Depuis des années, de nombreuses compagnies pétrolières et gazières, des compagnies aériennes et des constructeurs automobiles, des marques de restauration rapide et de boissons, des maisons de mode et des entreprises technologiques vantent les mérites de l'échange de quotas d'émission, qui représente des milliards de dollars, en tant que base de la protection du climat. Ils utilisent le marché de la compensation volontaire comme un moyen de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, tout en continuant à orienter leurs modèles commerciaux vers les combustibles fossiles et les chaînes d'approvisionnement non durables. Les entreprises financent des projets de reboisement et de protection des forêts qui visent à réduire les émissions ailleurs ou à les extraire de l'atmosphère. Outre l'économie privée, les États souhaitent désormais atteindre une partie de leurs objectifs de protection climatique à moindre coût et sans faire fuir les électeurs par le biais de la «compensation» dans les pays pauvres – la Suisse est en tête de liste.
Depuis qu'elles existent, les compensations volontaires sont critiquées. Aujourd'hui encore, elles donnent aux entreprises une image responsable («greenwashing»). Pourtant, les projets de protection du climat financés ne tiennent souvent pas du tout leurs promesses. Le commerce interétatique de CO2 a également un problème: de plus en plus de pays, comme le Cameroun et le Bangladesh, s'attribuent la quantité de CO2 économisée grâce à la reforestation ou à l'amélioration des fours de cuisson, car avec «Paris», tous les pays doivent réduire leurs émissions. En d'autres termes: que les pays industrialisés soutiennent les États plus pauvres dans la protection du climat. C'est absolument juste et important. En revanche, la possibilité de compenser à l'étranger ne dispense ni les entreprises privées ni les gouvernements de la tâche d'atteindre la neutralité climatique de manière autonome et avant 2050.
Obstacle 4: fort endettement du Sud
Selon l'ONU, la dette extérieure des pays en développement a atteint en 2023 le niveau le plus élevé jamais enregistré, soit 11 400 000 000 000 de dollars. Cette dette est plus de deux fois plus élevée qu'il y a une décennie et plus de cinq fois plus élevée qu'en 2000 (2,1 billions). Dès 2021, la dette des pays pauvres a atteint plus de 30% de leur puissance économique (RNB). Le nombre d'économies dans lesquelles les intérêts de la dette représentent 10 pour cent ou plus, des recettes publiques est passé de 29 en 2010 à 50 en 2022. 3,3 milliards de personnes au moins vivent dans des États dont les gouvernements dépensent plus pour les intérêts de la dette que pour la santé et l'éducation. Le fait que le service de la dette augmente surtout dans les pays en développement les plus pauvres et à faible revenu (PMA) est particulièrement préoccupant.
Le financement international du climat en est une des raisons: les pays riches aident les pays pauvres à prendre un virage énergétique socialement équitable afin de limiter le réchauffement de la planète (mitigation) et de s'adapter aux conséquences négatives du climat (adaptation). Un bon moyen en soi, mais environ trois quarts de ces fonds mis à disposition par des pays industrialisés comme la Suisse sont des crédits remboursables à taux d'intérêt réduits. En conséquence, ce sont précisément les pays qui ne sont guère responsables de la crise climatique qui doivent s'endetter davantage auprès des pays riches pour assurer leur subsistance. Les pays en développement dépensent actuellement cinq fois plus pour le remboursement de leur dette que pour lutter contre les conséquences négatives de la crise climatique.
Conclusion
Les décisions prises lors de la conférence climatique COP28 à Dubaï étaient importantes, elles doivent absolument être respectées et – surtout – mises en œuvre. Car il ne suffit pas de convenir d'objectifs. A Bakou, les gouvernements doivent prendre des mesures concrètes et efficaces pour que les objectifs fixés soient également atteints. Les subventions gigantesques les énergies dédiées fossiles, les investissements privés et nuisibles au climat, la (fausse) croyance en la compensation de la protection du climat dans les pays pauvres, ainsi que le niveau d'endettement paralysant dans le Sud, font que la communauté internationale n'atteint pas l'objectif de 1,5 degré. La politique doit s'attaquer au plus vite à ces quatre obstacles – avant qu'il ne soit trop tard.