Les intempéries qui ont ravagé le Valais et le Tessin sont la preuve du changement climatique, un phénomène mondial. Alors que la Suisse apprend à mieux gérer de telles catastrophes, de nombreux pays en développement se trouvent déjà au cœur de la tourmente d’un climat déréglé mêlant vagues de chaleur extrêmes et crues soudaines. Il y a longtemps que la Suisse devrait promouvoir la protection du climat de manière conséquente - sur son sol et dans les pays pauvres. Dans son propre intérêt et pour sa propre sécurité.
A la fin du mois de juin, des orages et de fortes pluies ont provoqué d’énormes glissements de terrain et des inondations dans le sud de la Suisse. Au Tessin, la haute vallée de la Maggia a été durement touchée, tout comme, en Valais, Saas-Grund, Zermatt et la vallée du Rhône. Il y a eu des morts et des blessés, et les dégâts se chiffrent en centaines de millions de francs. Interrogé sur la catastrophe, le ministre de l’environnement et conseiller fédéral UDC Albert Rösti a déclaré dans le «Tagesgespräch» de la radio SRF qu’il croyait les experts qui disent que le changement climatique a une influence et que les événements deviennent «plus intenses». Mais, selon lui, on ne peut pas dire que le changement climatique en est la cause.
A l’en croire, comme un nombre plus important de gens vivent dans les zones à risque qu’auparavant, le niveau de protection doit être adapté en conséquence. Le conseiller fédéral a ajouté que les risques font partie de la vie, surtout dans les régions de montagne, et qu’il faut veiller à ce que de tels événements aient moins de conséquences. Albert Rösti a rappelé que la Confédération verse à elle seule 160 millions de francs par an pour financer des mesures de protection et que l’on pourrait à l’avenir utiliser ces fonds de manière encore plus ciblée, en fonction des risques.
Le conseiller fédéral a également pris la défense du directeur de l’environnement valaisan et collègue de parti Franz Ruppen. Bien que les électrices et électeurs valaisans aient clairement accepté le projet de renaturation du Rhône en 2015, M. Ruppen a stoppé le plus grand projet de protection contre les crues de Suisse afin de le remanier. Son argument: le projet se base sur une hypothèse de dommages potentiels beaucoup trop important et est «surdimensionné». Depuis des années, le plus grand parti de Suisse minimise les dangers naturels liés au climat. Le fait que M. Ruppen soit le seul conseiller d’Etat valaisan à s’être engagé l’année dernière contre la loi sur la protection du climat, qui promeut une décarbonisation socialement acceptable de l’économie, va dans le même sens.
«Les intempéries actuelles sont encore inoffensives».
En réaction aux catastrophes survenues dans le sud de la Suisse, Sonia Seneviratne a souligné une fois de plus dans l’émission «Echo der Zeit» qu’avec le réchauffement climatique, les situations météorologiques exceptionnelles deviennent plus fréquentes et plus violentes. La climatologue de l’EPFZ, qui est également membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a souligné que les intempéries actuelles sont «encore inoffensives» par rapport aux phénomènes météorologiques extrêmes que nous connaîtrons dans dix ou vingt ans. Il est clair depuis longtemps que nous devons réduire massivement les émissions de CO2, environ de moitié d’ici 2030, afin de stabiliser le climat à 1,5 degré.
S’appuyant sur des travaux de spécialistes du climat et sur l’expérience de nombreux pays partenaires, des ONG comme Helvetas mettent en garde depuis des décennies contre les dangers croissants du réchauffement climatique provoqué par les êtres humains - et exigent en conséquence une meilleure protection du climat. Pourtant, notre conseiller fédéral continuer de nier le lien entre changement climatique et la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, comme en Valais, bien qu’il soit scientifiquement prouvé depuis longtemps. Ce n’est qu’à la toute fin du «Tagesgespräch», en réponse à une question sur le rôle du «changement climatique», qu’Albert Rösti prononce le mot – pour le relativiser aussitôt: on ne peut pas se baser sur un événement isolé pour en déduire une évolution à long terme. De plus, de tels événements ont toujours existé. Il est clair qu’avec de telles déclarations, le conseiller fédéral déforme les faits et met en doute les connaissances scientifiques sur le changement climatique. C’est à la fois irresponsable et dangereux.
Si rien n’est fait, la Suisse sera aussi durement touchée
Les statistiques sont malheureusement très claires: des millions de personnes à travers le monde vivent dans un stress thermique croissant, impliquant des risques accrus pour la santé. Dans les 20 plus grandes capitales du monde - où vivent plus de 300 millions de personnes - le nombre de jours où la température atteint 35 degrés a augmenté de 52 pour cent au cours des trois dernières décennies. En outre, l’élévation du niveau de la mer et la salinisation des terres cultivées menacent les emplois dans l’agriculture, la pêche et le tourisme. Des infrastructures vitales telles que les systèmes de transport, les hôpitaux et les écoles sont endommagées et détruites. Selon les données récemment publiées par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le niveau de la mer a augmenté en moyenne mondiale plus rapidement depuis 1900 qu’au cours de n’importe quel autre siècle des 3 000 dernières années.
Selon les prévisions de l’organisation de l’ONU qui s’occupe des catastrophes naturelles (UNDRR), les phénomènes météorologiques extrêmes ne cessent d’augmenter - d’ici 2030, il y aura plus de 560 catastrophes par an dans le monde, dont 90 pour cent de nature climatique, comme des cyclones, des inondations et des vagues de chaleur. C’est une augmentation de 40% par rapport à 2015. Selon le rapport 2022 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les inondations, les sécheresses et les tempêtes ont tué 15 fois plus de personnes dans les régions pauvres que dans les régions prospères au cours de la dernière décennie. Aujourd’hui déjà, près de la moitié de l’humanité ne peut presque plus se protéger contre les conséquences du changement climatique.
Et la Suisse? Cet été, nous avons vu qu’elle est aussi de plus en plus «victime» du changement climatique. Mais elle est aussi «co-responsable». Avec son empreinte climatique importante, elle a la responsabilité de chercher des solutions appropriées pour maîtriser la crise climatique mondiale. Et ce, dans son propre intérêt. En effet, la Suisse se réchauffe plus que la moyenne mondiale: des étés plus secs et davantage de jours de canicule, ainsi que des précipitations plus abondantes et des hivers moins enneigés en sont les conséquences. Et - comme en Valais et au Tessin - des inondations et des coulées de boue d’une violence inhabituelle.
La coopération au développement joue un rôle central dans la lutte contre le changement climatique à l’échelle mondiale
Alors que l’armée suisse joue un rôle important dans la protection contre les catastrophes dans notre pays, c’est la coopération au développement qui promeut la prévention des catastrophes et l’adaptation aux conséquences du réchauffement de la planète dans les pays plus pauvres. Son rôle devient donc plus important avec le réchauffement croissant. Elle ne se contente pas de renforcer la capacité de résistance (résilience) des populations, par exemple en encourageant une agriculture écologique économe en eau, la construction de digues côtières et de réservoirs d’eau ou une gestion prévoyante des catastrophes. La coopération au développement contribue également à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple en encourageant les énergies renouvelables et les chaînes de valeur durables ou en soutenant la mobilité et le développement urbain à faible émission de carbone.
En 2021, les pays riches de l’OCDE consacraient déjà environ un quart de leurs fonds de la coopération (bilatérale) au développement (Official Development Assistance, ODA) aux objectifs climatiques. La Suisse a elle aussi renforcé son engagement en 2021 afin d’endiguer le changement climatique dans les pays en développement et d’en atténuer les conséquences. Dans le budget de la coopération, elle a consacré environ 400 millions de francs par an au climat pour la période 2021-2024. Cela représente environ 15% du budget et 100 millions de francs de plus que lors de la période stratégique précédente (2017-2020). Ce montant devrait rester le même à partir de l’année prochaine.
Au vu des besoins croissants en matière de protection du climat et d’adaptation dans le monde entier, la part consacrée au climat devrait en fait être augmentée. Pour éviter que cela ne se fasse au détriment d’autres domaines de la coopération au développement, il faudrait depuis longtemps des recettes socialement acceptables et conformes au principe du pollueur-payeur pour le financement international du climat. C’est pourtant le contraire qui se produit: le soutien des pays en développement à la protection du climat risque de s’éroder. C’est ainsi que le 3 juin 2024, le Conseil des États a décidé de but en blanc de réduire de près de 20 pour cent la coopération au développement au détriment de la forte progression de l’armée. Avec des conséquences négatives prévisibles pour les mesures climatiques dans les pays partenaires ou pour le Fonds vert pour le climat et le Fonds d’adaptation. Un jeu dangereux. Pour la population suisse également.