Annette Kolff, pouvez-vous décrire la signification concrète de la crise du coronavirus, par exemple pour une famille en Éthiopie?
Oui, je vais essayer: imaginez une famille paysanne, sans aucun hôpital à proximité. La mère doit aller chercher de l’eau très loin. Chacun vit au jour le jour, sans guère pouvoir acheter de la nourriture et encore moins constituer des réserves. En temps normal, la famille vend l’excédent de récolte au marché, qui est maintenant peut-être fermé. De plus, il faut savoir que leurs aliments de base, comme le millet, sont actuellement dévorés par des milliards de criquets. En ville, la proximité est grande et garder les distances est impossible. L’effondrement de l’économie frappe les journaliers et les petites commerçantes de rue, qui habituellement achètent le soir de quoi nourrir leur famille avec l’argent du jour. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école, ce qui assombrit leurs perspectives car l’enseignement à domicile n’existe pas. Ce sont quelques aspects seulement. La souffrance due au coronavirus vient s’ajouter à la misère existante.
Que peut faire Helvetas dans une telle situation?
C’est une situation de crise et nous fournissons une aide d’urgence pour protéger la santé des gens. Dans le cadre de nombreux projets en cours, nous avons intensifié la prévention sanitaire et la formation à l’hygiène. Nous contribuons à mettre en place des dispositifs de lavage des mains sur les marchés et dans les écoles: comme en Suisse, il importe de bien se laver les mains et, si possible, de garder ses distances. En outre, nous distribuons des kits d’hygiène, notamment dans le camp de réfugiés des Rohingyas au Bangladesh.
Le personnel d’Helvetas peut-il se rendre dans les zones de projets?
Cela dépend des mesures imposées par les gouvernements. Nous avons restreint les déplacements en maints endroits pour protéger les collaborateurs et les villageois. Notre réseau de partenaires locaux de longue date fait une nouvelle fois ses preuves, en mettant en œuvre les mesures dans leurs régions: nous renforçons les associations paysannes, les groupes de femmes, les organisations de jeunes qui diffusent les règles de comportement à respecter. Nous leur fournissons des outils de travail et des affiches, du savon et des désinfectants à distribuer. Les autorités locales sont souvent des partenaires. Nous les aidons à développer des solutions pour protéger leurs citoyens. Au Bénin et dans d’autres pays, nous travaillons avec des radios communautaires pour informer sur les mesures de prévention. Au Burkina Faso, nous utilisons les téléphones portables et les services de messageries.
Annette Kolff, codirectrice des programmes internationaux d'Helvetas
La population de ces pays est souvent jeune. Le coronavirus y est-il moins dangereux de ce fait?
Dans les pays en développement, la condition de santé et la constitution sont des facteurs de risque déterminants, en plus de l’âge. Les personnes souffrant de malnutrition sont très exposées et nombreuses sont celles affaiblies par d’autres maladies, infections ou diarrhées. Souvent, elles n’ont pas connaissance de maladies préexistantes comme le diabète, ce qui augmente les risques médicaux.
Les femmes et les hommes sont-ils affectés différemment?
Les femmes sont plus vulnérables que les hommes pour des raisons sociales, je le crains. Elles s’occupent des aînés, des malades, des enfants. Et quand des migrants, peut-être infectés, rentrent chez eux, les femmes préparent leurs repas. Le plus souvent, ce sont elles qui vont au puits ou au marché pour vendre la récolte; elles sont donc plus exposées. Les femmes souvent ne disposent que d’une alimentation de moins bonne qualité ou souffrent d’anémie: ce sont autant de facteurs de risque.
Un risque de famine est-il présent? Qui des citadins ou des ruraux y seraient les plus exposés?
Les citadins ont peut-être plus de difficulté à se procurer de la nourriture que les ruraux. Mais des paysans sans terre vivent à la campagne et sont dépendants des marchés. En outre, de nombreux migrants et migrantes, ainsi que des travailleurs itinérants cherchent refuge contre la pandémie dans leurs villages. Ils n’ont plus de revenus, et toujours plus de personnes doivent vivre de réserves souvent très faibles. La pression sur la population rurale s’accroît. Nous craignons effectivement que la faim augmente. S’ajoutant au coronavirus, la combinaison serait fatale.
Il faut largement craindre que des gouvernements autoritaires s’emparent du pouvoir sous prétexte de gérer la crise – comme en Hongrie. Quelle est la situation hors d’Europe?
Les gouvernements restreignent les droits civiques, imposent des couvre-feux et des interdictions de vente, ferment les frontières. Il est essentiel de savoir sur quelle base cela se produit et si ces mesures sont clairement temporaires. Des élections ont été reportées dans plusieurs pays. Dans certains, comme Haïti, cela peut conduire au chaos. En raison de l’évolution en Hongrie, nous suivons de très près ce qui se passe dans d’autres États d’Europe de l’Est. Dans des pays fragiles, certains groupes risquent de prendre le contrôle sans en avoir la légitimité. Nous devons être prêts à faire face à de nombreuses éventualités.
Ce que vous décrivez laisse perplexe. Qu’est-il possible de faire pour éviter le pire?
Premièrement, être solidaires et soutenir les personnes par des dons dans les situations de crise. Helvetas fournit actuellement une aide d’urgence. Nous réfléchissons aussi à ce qui sera nécessaire une fois la première grande vague d’urgence passée. Entre autres pour reprendre pied sur le plan économique. Aujourd’hui, 1,5 milliard d’enfants ne peuvent pas aller à l’école. Nous devons tout mettre en œuvre pour qu’ils ne décrochent pas. La formation professionnelle nous permet de créer des perspectives pour les jeunes, de sorte qu’ils ne se retrouvent pas démunis lors d’une prochaine crise en étant contraints de travailler comme journaliers. Les opportunités offertes par la technologie digitale peuvent représenter une bonne stratégie pour l’école et la formation professionnelle; la pandémie accélère considérablement le numérique. Nous étudions déjà des possibilités au Burkina Faso, au Myanmar et en Tanzanie. Il s’agit d’ouvrir de nouvelles perspectives, mais aussi de développer de nouveaux marchés pour les artisans et les cultivateurs pour leur permettre de retrouver rapidement des revenus. Nous aidons les autorités locales à améliorer les services de base. Il s’agit de trouver des solutions, peut-être meilleures qu’avant, avec les personnes concernées. Mais une solidarité mondiale est nécessaire pour y arriver.
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Annette Kolff est membre de la direction d’Helvetas et coresponsable du département des programmes internationaux depuis 2011. Elle est agronome spécialisée dans l’agriculture tropicale et la gestion des ressources naturelles. Elle a de décennies d’expérience dans la coopération au développement en Asie et en Afrique.